Aucune nation au monde ne confie à l'État la totalité de son système de soins de santé. Sauf Cuba et la Corée du Nord, ajoute-t-on toujours pour faire image... ou pour faire peur.

En France, où on ne vit pas précisément sous le régime du capitalisme sauvage, 20,1% des dépenses en santé sont assumées privément. De plus, 30,4% des hôpitaux sont de propriété privée, dont les deux tiers à but lucratif. En 2004, une réforme a introduit des mesures encadrant la consommation des soins de santé afin de contenir les dépenses.

Cependant, la nation qui se rapproche le plus d'une situation de monopole étatique est probablement la Suède, où 81,7% des dépenses liées à la santé sont assumées par l'État. Cette proportion diminue toutefois au fil des ans; le nombre de citoyens assurés par le secteur privé augmente; les hôpitaux et cliniques privées dispensent maintenant plus de 10% des soins.

Bref, on se rend compte partout que, en matière de santé, on ne pourra pas se passer de la contribution des secteurs public et privé. De sorte que les systèmes français et suédois évoluent, comme c'est très certainement le cas dans presque tous les pays du monde...

... y compris aux États-Unis.

Quel branle-bas de combat il a fallu y déclencher pour qu'un plan de réforme du système de soins de santé soit adopté par le Congrès!

Pourtant le «Obamacare» est loin d'être une révolution -ni socialiste, ni nazie, comme l'ont claironné des imbéciles tout au cours des derniers mois.

Avant la réforme, le secteur public assumait déjà 45,1% des dépenses en santé, surtout par le biais des régimes Medicare et Medicaid, et gérait 33% des lits hospitaliers. Cela étant, la réforme Obama ne prévoit pas le transfert à l'État fédéral de la responsabilité entière des soins de santé. Essentiellement, elle remodèle le système existant de façon à atteindre par divers moyens une couverture quasi-universelle.

Pourquoi alors une telle hargne dans la défense d'un intenable statu quo? Visiblement, il s'agissait pour les plus bruyants adversaires du changement d'un combat destiné à garder intact le... «modèle américain»!

Barack Obama a donc dû s'attaquer à une vache sacrée -et à de puissants intérêts- en manifestant un courage presque suicidaire. Il est d'ailleurs possible que sa carrière politique ne s'en remette pas : sa cote d'amour s'établit aujourd'hui à 45% et ne donne pas signe de vouloir remonter.

Néanmoins, tout comme elle a réalisé ce qu'on croyait impossible en élisant un président noir, la nation américaine a été capable, fut-ce dans la fureur et la division, de renoncer à l'intégrité de son «modèle» en vue du bien commun.

La chose est exemplaire.

Et elle devrait inspirer les nations où, en matière de soins de santé, le statu quo est devenu à ce point intenable qu'il représente un danger public. Les nations où un «modèle» en forme de vache sacrée ne se maintient que par la force d'inertie, la résistance instinctive au changement et le combat d'arrière-garde des intérêts qui y sont associés.