L'inflation menace de nouveau l'Asie. Craignant la grogne des consommateurs, qui voient les prix des aliments et de l'énergie s'envoler, les banques centrales devront dégainer en haussant les taux d'intérêt. Coup de frein en vue pour l'économie mondiale.

Un monde à deux vitesses. Alors que la conjoncture et les prix se redressent lentement en Occident, ça sent déjà la surchauffe économique en Asie, qui est hantée par un ennemi trop familier.

L'inflation vient encore de montrer sa vilaine tête dans la région.

Dans certains pays, la hausse des prix est la plus élevée depuis la crise asiatique de 1997-1998; or, dans ce coin du monde, personne ne veut revoir ce vieux film d'horreur.

L'Inde a dévoilé la semaine dernière que les prix de gros ont bondi de 9,9% le mois dernier, comparativement à une croissance presque nulle au milieu de 2009. Les grands coupables: les coûts des aliments et de l'énergie, qui montent en flèche.

Et au dernier décompte, l'inflation annualisée atteint 8,5% au Vietnam et dépasse les 4% aux Philippines.

Le Financial Times a rapporté récemment que les prix des tomates, du sucre et des légumineuses à Singapour, à titre d'exemples, ont presque doublé depuis le début de l'année, provoquant la grogne des consommateurs exaspérés.

Chine

Mais c'est la montée des prix en Chine qui préoccupe surtout les économistes et les investisseurs.

En février, l'inflation dans ce pays a atteint 2,7% sur une base annuelle, soit près du seuil maximal de 3% toléré par le gouvernement chinois. Une telle hausse des prix peut paraître banale, vue par la lorgnette occidentale, mais elle témoigne d'une vague de fond qui sera difficile à contenir.

L'inflation s'infiltre partout, même au coeur de l'économie chinoise: Guandong, province qui génère le tiers des exportations du pays, a annoncé la semaine dernière une hausse de plus de 20% du salaire minimum, après une augmentation de 13% décrétée en février par la province du Jiangsu.

Les autorités chinoises n'ont d'autres choix que de hausser les salaires pour attirer des travailleurs face à une pénurie inquiétante de main-d'oeuvre.

En somme, les pressions inflationnistes, montrées du doigt en Chine avant la crise financière, s'accentuent avec la croissance rapide des exportations.

Les ventes chinoises à l'étranger ont bondi de 46% en février sur fond de reprise mondiale. Si bien que Pékin, qui cherchait jusqu'ici à freiner doucement l'économie nationale, devra peut-être appuyer brusquement sur les freins.

«Il faut s'attendre à de prochaines hausses des taux en Asie, voire à d'autres types de mesures», insiste la firme JP Morgan dans un bulletin économique.

De ce point de vue, l'Inde est en première ligne et, contre toute attente, a haussé son taux directeur d'un quart de point (à 3,50%), vendredi. Des experts tablent sur des hausses additionnelles de 50 à 100 points de base (ou 0,5 à 1,0%) d'ici la fin 2009.

L'Inde n'est pas la première. L'Australie et le Vietnam ont déjà augmenté les coûts d'emprunt pour contrer les poussées inflationnistes. Or, Frederic Neumann, économiste à la Banque HSBC, table sur une hausse de taux de 125 points de base en Indonésie d'ici la fin de l'année, de 350 points au Pakistan et encore de 400 au Vietnam.

Sans oublier que la Chine a déjà annoncé à la fin de 2009 et au début de 2010 une batterie de mesures pour restreindre le crédit bancaire, auxquelles s'ajoutent des dispositions pour ralentir le secteur brûlant de l'immobilier.

Et le yuan?

La bonne nouvelle, par contre, c'est que la hantise inflationniste est peut-être ce qui obligera finalement le gouvernement chinois à réévaluer sa monnaie.

Depuis longtemps, le monde entier pousse la Chine à abandonner l'alignement du yuan sur le dollar américain. Cette tactique «injuste», aux dires de certains, soutient artificiellement ses exportations. La semaine dernière, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international ont ajouté leur voix au concert de critiques.

Donc, la pression monte. Pékin sait parfaitement qu'il lui faudra tôt ou tard réévaluer le yuan. Une monnaie forte est un bon moyen pour contenir les coûts de l'énergie et des métaux que la Chine importe à profusion. Sans oublier que cela contribuera à soutenir la consommation domestique et à réduire la dépendance aux marchés extérieurs.

Parfois appelée «l'impôt des pauvres», l'inflation est réputée avoir mené aux émeutes de la place Tiananmen en 1989. Les Chinois n'ont pas oublié. Le spectre inflationniste fait toujours peur en Asie, même aux grands dragons.