Il a beaucoup été question, ces derniers temps, d'une hausse des tarifs d'électricité au Québec. Il est vrai qu'Hydro-Québec pratique une politique de prix incroyablement généreuse. En moyenne, le ménage montréalais paie son électricité 40% de moins qu'à Toronto, 65% moins cher qu'à Boston, 68% moins cher qu'à New York.

Évidemment, cette générosité a un prix: le gouvernement du Québec, unique actionnaire d'Hydro, se prive ainsi de milliards de dollars en dividendes.

À un moment où les finances publiques québécoises sont dans un cul-de-sac, la tentation est grande d'aller chercher de nouveaux revenus de ce côté. Une modeste hausse d'un cent le kilowattheure permettrait à Hydro de verser chaque année 1,6 milliard additionnel en dividendes au gouvernement. Et même avec cette hausse, les tarifs québécois demeureraient 35% plus attrayants qu'en Ontario, ce qui n'est pas rien.

D'autre part, en encourageant le gaspillage, la politique des tarifs à rabais comporte un effet secondaire détestable.

Enfin, sur une longue période, les Québécois se sont joué un mauvais tour. Si, dès la nationalisation des compagnies d'électricité en 1962, Hydro avait pratiqué les prix du marché au lieu de subventionner la consommation pendant près d'un demi-siècle, les Québécois seraient aujourd'hui collectivement aussi riches que les Albertains.

Deux poids lourds du gouvernement Charest, le ministre des Finances Raymond Bachand et son collègue du Développement économique, Clément Gignac, se sont ouvertement prononcés pour une hausse des tarifs.

Et voici que mon collègue Denis Lessard nous a appris, dans La Presse d'hier, que les deux ministres s'apprêtent à changer leur fusil d'épaule.

Pourquoi?

Parce que, si les tarifs d'électricité augmentent, les revenus du gouvernement augmenteront aussi. Et si le gouvernement devient plus riche, Ottawa diminuera ses paiements de péréquation, puisque le programme de péréquation vise essentiellement à aider les provinces plus pauvres à offrir des services publics d'un niveau comparable à ceux des provinces riches.

Jusqu'en 2007, la question ne se posait pas de la même façon. Le calcul des paiements de péréquation tenait compte de la capacité fiscale de cinq provinces: Colombie-Britannique, Manitoba, Ontario, Québec et Saskatchewan. L'Alberta, la province la plus riche, et les quatre provinces de l'Atlantique, les plus pauvres, étaient exclues du calcul. Or, en 2007, on a revu la formule de façon à inclure les 10 provinces. L'Alberta et ses énormes redevances pétrolières et gazières font donc partie du calcul (ce qui a, entre autres conséquences, d'exclure à jamais les Albertains du programme de péréquation). Mais à partir du moment où les redevances sur les ressources sont incluses dans la capacité fiscale de l'Alberta, il est normal d'inclure aussi les revenus que le Québec tire de sa principale ressource, l'hydro-électricité.

Il est donc exact que si les tarifs augmentent, les paiements de péréquation diminuent.

Donc, mieux vaut garder les tarifs bas, se priver ainsi de revenus importants, rester une province pauvre et continuer de cette façon de recevoir des paiements de péréquation plus généreux...

Hallucinant!

Toujours selon Denis Lessard, l'économiste Claude Montmarquette a calculé que l'amputation de la péréquation annulera la moitié des recettes provenant d'une hausse des tarifs. Ainsi, si les tarifs permettent d'augmenter le dividende d'Hydro de 1,6 milliard, la péréquation baissera de 800 millions.

Mais au bout du compte, le gouvernement sera quand même plus riche de 800 millions. D'où cette situation absurde: Québec préfère se priver de 800 millions par année pour continuer de dépendre d'Ottawa. Restons pauvres et continuons de gaspiller, on est si bien comme cela!

En réalité, si jamais le Québec, un jour, en arrive à ne plus toucher un dollar de péréquation, ce sera une excellente nouvelle: cela voudra dire que les Québécois sont devenus plus riches que les autres Canadiens.

M. Montmarquette ne mâche pas ses mots: «C'est comme un assisté social qui refuserait d'avoir un salaire parce qu'il craint de perdre son chèque d'aide sociale.»

Hélas, au Québec, il ne manque pas d'assistés sociaux aptes au travail qui pensent de cette façon. Mais j'ignorais que cette mentalité de petite misère était rendue si haut dans les coulisses du pouvoir.