Comment énoncer de façon incomplète un problème mal posé? Voici. La question serait: faut-il soumettre l'immigrant à une médecine à base de multiculturalisme canadien ou d'identité québécoise?

C'est sur ce mode binaire, en présumant que l'«immigrant» dont on parle n'est pas établi au Québec depuis trois générations (!) et en ignorant le sous-texte politique de la religion, que le débat, celui que l'on sait, s'est désormais reconstitué. Et ce, en particulier depuis les interventions de Lucien Bouchard et du philosophe Daniel Weinstock, lié à la commission Bouchard-Taylor.

 

Pourtant, pourtant...

En province, cette semaine, on a placé l'idée d'accommodement raisonnable sous un tout autre éclairage. Devant le Tribunal des droits de la personne, en effet, on n'a pas débattu des tapis de prière que les étudiants musulmans déroulent dans un hall des HEC. Mais bien de la prière chrétienne que le maire de Saguenay (un Tremblay!) veut continuer à réciter aux séances du conseil.

Pas d'immigrant dans ce dossier. Pas de multiculturalisme. Pas d'identité. Pas de complot fédéraliste ou souverainiste. Pas question de devoir déterminer si les Québécois sont tolérants ou non - ils le sont, et plutôt très.

Non, les ingrédients étaient la politique, la religion et l'interaction de l'une avec l'autre.

Ainsi, avec sa saveur locale, l'affaire saguenéenne n'en présente pas moins une facette des dilemmes globaux auxquels peu de pays occidentaux échappent. Ces dilemmes sont à ce point lourds de conséquences qu'ils participent à une véritable crise dont l'enjeu est le type d'évolution que vivra la civilisation occidentale au cours des années à venir.

Ce n'est pas rien.

On se trouve alors très loin du bon vieux contentieux canado-québécois, même servi à la moderne. Et si l'immigration joue un rôle, les problèmes d'intégration et de balance démographique qu'elle pose sont beaucoup plus durement vécus en France, en Allemagne ou aux Pays-Bas, par exemple, qu'au Québec.

Or, une fois débattues les identités particulières et les modes d'accueil des immigrants, la crise s'articule bien davantage, partout en Occident, autour d'autre chose. Soit du retour en force de la pression religieuse, de ses fondamentalismes revendicateurs, de ses tapageuses intrusions dans le champ du politique; ainsi, on ne comprend rien à l'âpre débat sur le voile islamique si on occulte sa dimension militante.

Certes, il y a encore d'autres facettes à l'affaire.

L'évolution des droits, par exemple. D'une part, les nouveaux «droits» qui surgissent chaque jour - un des plus récents: le droit à ne pas être offensé... - et sont des produits de l'opulence occidentale. D'autre part, la hiérarchisation des droits, un pensum que la pression religieuse, justement, tend de plus en plus à imposer.

Dans ce contexte, s'entêter à résoudre les conflits liés à cette crise de civilisation avec d'accommodants petits rafistolages, improvisés à la pièce, est une vaine et pusillanime entreprise.