On a beaucoup parlé, depuis quelques semaines, du cul-de-sac financier où se trouve la Grèce, et des sacrifices majeurs que cela entraînera non seulement en Grèce même, mais aussi dans l'ensemble des pays de la zone euro.

Pour éviter le pire, les créanciers et les autres membres de la communauté européenne veulent imposer au gouvernement grec des mesures d'austérité d'une rigueur exceptionnelle: compressions des dépenses gouvernementales, mises à pied massives dans le secteur public (qui représente plus de 40% de la main-d'oeuvre), sévère réforme des régimes de pension. Évidemment que ça va faire mal, évidemment que les syndicats ont déjà déterré la hache de guerre. Mais au bout du compte, les Grecs n'auront pas vraiment le choix: si rien n'est fait, c'est tout le système économique européen qui risque d'en payer le prix.

Or, pendant que tous les yeux sont braqués sur la Grèce, il se prépare, à l'autre bout de la Méditerranée, un autre drame. L'Espagne est sur le point de sombrer dans un cauchemar économique et financier dont l'impact sur l'Europe risque d'être encore plus grand que les événements de Grèce.

Avec un produit intérieur brut (PIB) de 1400 milliards US (1), l'Espagne est la 13e économie mondiale. Le PIB espagnol est quatre fois plus important que celui de la Grèce. Si la crise grecque a réussi à ébranler l'Europe, on ne peut qu'imaginer ce qui arrivera quand l'Espagne sera frappée à son tour. les signaux d'alarme sont inquiétants:

> Le marché du travail, un des meilleurs indicateurs de la santé de l'économie, est en pleine déroute. Plus de 4,5 millions d'Espagnols sont en chômage. Pour un pays dont la population active dépasse à peine les 23 millions, c'est une authentique catastrophe. Le taux de chômage atteint le niveau inacceptable de 19,5%, deux fois plus que la moyenne de la zone euro; à titre de comparaison, il se situe à 9,8% en Grèce.

> Dans ses échanges avec l'étranger, l'Espagne affiche un des pires scores du monde, pays riches et pauvres confondus. On parle beaucoup de l'énorme déficit commercial américain mais, toutes proportions gardées, la situation est encore bien plus grave en Espagne. Aux États-Unis, le déficit au compte courant atteint 3% du PIB, proportion qui est considérée comme préoccupante (ces 3% représentent tout de même 465 milliards!). Mais en Espagne, le déficit bondit à 5,6% du PIB.

> Les finances publiques sont dans un état déplorable. Le dernier budget du gouvernement espagnol fait état de revenus de 489 milliards et de dépenses de 640 milliards, ce qui donne un rapport revenus/dépenses de 1/1,31 (1,31$ de dépenses pour chaque dollar de revenus, ce qui est très élevé pour un pays industrialisé). Le déficit de 151 milliards dépasse 11% du PIB, presque quatre fois plus que le critère imposé aux pays européens par l'accord de Maastricht. Dans ces conditions, on comprend que la dette publique gonfle à vue d'oeil. De 41% du PIB en 2008, elle est passée à 60% l'an dernier.

Il existe toutefois une mince lueur d'espoir.

Le niveau de prospérité d'une société dépend de son niveau de productivité. Or, la légendaire faiblesse des gains de productivité est sans doute la maladie la plus grave dont souffre l'économie espagnole. Entre 1999 et 2007, la productivité (mesurée selon la méthode classique qui consiste à diviser la valeur de la production par le nombre d'heures travaillées) a augmenté de 0,89%. Pas 0,89% par année, 0,89% pour l'ensemble de cette période de huit ans. Pendant que les gains de productivité stagnaient, les salaires grimpaient en flèche: 29,2% en huit ans. Autrement dit, les salaires ont augmenté 33 fois plus rapidement que les gains de productivité. Une situation intenable qui explique en grande partie l'impasse actuelle.

La lueur d'espoir, c'est qu'il semble y avoir réelle amélioration depuis deux ans: 1,7% en 2008 et 3% en 2009. Autrement dit, en deux ans, les gains de productivité sont cinq fois plus importants que ceux des huit années précédentes. Bémol: les salaires continuent d'augmenter plus rapidement que les gains de productivité: 8,8% d'augmentation en deux ans. Malgré cela, les progrès sont manifestes.

Est-ce que cela sera suffisant? Certes, le gouvernement espagnol veut se faire rassurant. Madrid a déjà fait savoir qu'il n'avait pas l'intention (comme la Grèce) de demander l'aide de ses partenaires européens, qu'il allait pouvoir sortir tout seul de la crise. On voudrait bien que ces espoirs soient fondés. Mais, compte tenu des gros nuages noirs qui s'accumulent au-dessus de l'économie espagnole, c'est loin d'être certain.

 

 

(1) Tous les montants, dans cette chronique, sont exprimés en dollars américains.