Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'ex-premier ministre Lucien Bouchard, s'il n'intervient pas souvent dans les débats publics, réussit à brasser la cage chaque fois.

On a surtout retenu, dans sa dernière sortie publique, qu'il ne croyait plus voir un Québec indépendant de son vivant. Laissons aux politologues le soin d'ergoter sur l'impact de ces propos-chocs, sacrilèges pour les uns, réalistes pour les autres.

On a beaucoup moins parlé de l'autre aspect de son intervention: les Québécois doivent concentrer leurs énergies et s'attaquer en priorité aux dossiers cacochymes de la santé, de l'éducation et, surtout, des finances publiques.

Sur ce point, il est difficile de ne pas lui donner raison.

Plus tôt cette semaine, l'Association des économistes québécois publiait un document montrant à quelle vitesse les finances publiques québécoises se dirigent tête baissée vers un cul-de-sac. Dans La Presse de mardi, j'ai résumé les grandes lignes de ce document. Vos réactions, chers lecteurs, ont été aussi nombreuses que catégoriques.

Un échantillon:

M. Lafleur: «Il est temps de scruter avec un oeil neuf l'utilité de certains ministères et programmes. En 25 ans de carrière en enseignement, j'ai peu de souvenirs d'apports positifs du ministère de l'Éducation. Par contre, je me souviens très bien de réformes désastreuses imposées par Québec et d'exigences en paperasserie qui ne font que faire tourner la machine sans rien apporter aux étudiants.»

M. Beauséjour: «Je lisais hier sur cyberpresse qu'un dirigeant syndical propose de retarder l'équilibre budgétaire afin de satisfaire la fonction publique. Avec si peu de conscience sociale, c'est l'impasse garantie.»

M. Sarrazin: «Et dire qu'on veut demander d'avoir les Jeux olympiques d'hiver! C'est vrai qu'on est une société distincte: plus stupide que ça, tu meurs.»

M. Laberge: «Au bout du rouleau, le citoyen, taxé à l'extrême, se dira: je reste chez moi, il n'y a plus d'avantages à travailler.»

M. Charette: «Donnez-moi cinq bonnes raisons pour convaincre mes trois enfants adultes éduqués à grands frais de rester au Québec.»

M. Bertrand: «Clowns, guignols, bouffons! Ce pays nommé Québec manque totalement de leadership et de vision à long terme.»

J'arrête ici, mais j'ai assez de matériel pour remplir toute la page. Vous êtes en colère. Quand Lucien Bouchard dit qu'il faut lâcher le discours souverainiste pour s'intéresser aux finances publiques, il reçoit certainement un très large appui de l'opinion publique.

D'autant plus que cette semaine, le vérificateur général nous apprenait que l'endettement public des Québécois est encore plus élevé qu'on le croyait.

Il y a plusieurs façons de mesurer la dette publique. Pour des fins de comparaisons interprovinciales, on utilise généralement le montant de la dette directe, tel qu'il apparaît dans les documents budgétaires. Selon les derniers chiffres du vérificateur général, la dette directe du Québec est de 113 milliards de dollars, ce qui représente 37% du produit intérieur brut (PIB).

Mais les documents budgétaires ne disent pas tout.

Il faut aussi tenir compte du passif des régimes de retraite, des dettes servant à financer des organismes comme la Corporation d'hébergement, l'Immobilière SHQ, Financement-Québec, ou encore la quote-part du gouvernement dans la construction des usines d'épuration des eaux, et les déficits actuariels des régimes de retraite municipaux (qui seront remboursés par le gouvernement). Ces emprunts sont comptabilisés séparément de la dette directe, et il y en a en tout pour 51 milliards. Cela porte donc le total de la dette supportée par le gouvernement à 164 milliards, ou 54% du PIB.

Les économistes divergent d'opinion sur la dette de 37 milliards d'Hydro-Québec. Pour certains, il n'y a pas lieu de l'inclure dans la dette publique parce qu'Hydro-Québec possède des actifs largement supérieurs à sa dette, d'une part, et parce que ce n'est pas le gouvernement, mais Hydro-Québec elle-même qui assume entièrement la gestion de sa dette. Pour d'autres, le gouvernement étant l'unique actionnaire d'Hydro-Québec, il est également l'ultime responsable de sa dette. Le vérificateur général, quant à lui, choisit de considérer la dette d'Hydro-Québec comme une dette publique.

Enfin, même si le gouvernement ne doit pas supporter directement les dettes des municipalités et des universités, il en est également l'ultime responsable. Là aussi, le vérificateur considère qu'elles font partie de l'endettement public des Québécois. Il y en a pour 17 milliards.

Si on additionne toutes ces dettes, on en arrive à 219 milliards, ou 72% du PIB.

Ça, c'est le montant de l'endettement public du Québec. Mais les Québécois doivent aussi supporter leur part de la dette fédérale de 492 milliards. Cela donne, sur une base par habitant, 114 milliards, pour un total de 333 milliards, ou 110% du PIB, ou 42 400$ pour chaque citoyen québécois, incluant les bébés.

Autrement dit, si le Québec était un État indépendant, il figurerait d'entrée de jeu parmi les plus endettés du monde industrialisé.