La consommation mondiale, longtemps alimentée par les boulimiques Américains, se déplace lentement mais sûrement vers l'Asie. Les Chinois, en particulier, ont amorcé l'année avec l'appétit d'un dragon.

Les consommateurs américains et européens étant lourdement endettés et à bout de souffle, l'Asie semble déterminée à prendre la relève pour soutenir la demande mondiale.

La Chine, qui d'autre, a pris les commandes du train rapide asiatique, achetant des biens étrangers à un rythme effarant: le mois dernier, les importations chinoises ont augmenté de 86% par rapport à janvier 2009. Ce bond spectaculaire représente plus de quatre fois la croissance des exportations (+21%), pourtant reconnues comme le fer de lance de l'empire du Milieu.

Le commerce chinois avec les pays émergents est encore plus impressionnant: les importations de la Chine en provenance de Russie ont bondi de 162%, s'ajoutant aux achats réalisés au Brésil (+142%) et dans les autres pays asiatiques (+117%).

Avec ses emplettes sur la scène mondiale, la Chine est même devenue, pour l'ensemble de 2009, le premier client du Japon, devançant pour la première fois les États-Unis. Bref, les Chinois achètent plus de voitures, de robots et de biens japonais que les Américains. Qui l'aurait cru.

Les ménages

Pour Robert Subbaraman, économiste chez Nomura Holdings, la hausse soutenue des importations chinoises reflète «la force de la demande intérieure», propulsée par la vague des investissements dans ce pays et par la consommation des ménages. En clair, l'État achète beaucoup, pour construire des ponts, des routes et des usines, mais les Chinois eux-mêmes consomment de plus en plus.

Évidemment, l'Asie occupe toujours une place secondaire sur l'échiquier économique international, confirme Frederic Neumanm, de la banque HSBC. L'économiste évalue que les États-Unis et l'Europe génèrent ensemble 56% de l'activité économique mondiale contre environ 25% pour l'Asie (y compris la Chine).

Il en va de même pour la consommation. En Asie (excluant le Japon), les consommateurs dépensent quelque 5500 milliards US par an. Soit trois fois moins que la consommation totale des Américains et des Européens, estimée à 17 600 milliards US.

Or, c'est la tendance qui importe le plus: selon HSBC, tout indique que la consommation asiatique va croître de 125 milliards US cette année comparativement à une baisse de 30 milliards pour les Américains et de 77 milliards US pour les Européens. Un écart significatif.

Le McKinsey Global Institute, de Washington, est convaincu que l'appétit des Chinois ira en augmentant: on s'attend à ce que la consommation domestique en Chine croisse de 50% d'ici 2025.

Sur le plan commercial, les pays émergents sont aussi de plus en plus importants pour les manufacturiers chinois: à preuve, la Chine acheminait 50% de ses exportations vers les États-Unis, l'Europe et le Japon au début de 2009. Cette part est tombée à 44% en décembre, alors qu'elle a grimpé à 56% pour les autres régions. Autrement dit, les pays riches n'ont plus le même poids dans la balance chinoise.

Un «choc»

L'économiste Stephen S. Roach, spécialiste du marché asiatique chez Morgan Stanley, est un de ceux qui croient que l'équilibre économique mondial est en train de basculer.

Dans une récente lettre financière, il affirme que la récession de 2008-2009 a constitué un «choc terrible» pour le gouvernement chinois, qui doit revoir son modèle de croissance basé sur les exportations. Celles-ci, faut-il le rappeler, avaient chuté de 27% en février 2009, au pire de la crise financière.

«La Chine a saisi le message», dit-il, et veut rééquilibrer son économie.

Les décideurs chinois veulent désormais générer de la croissance à même le marché intérieur et plus uniquement sur les marchés étrangers. M. Roach s'attend à ce que le prochain plan quinquennal chinois, qui entrera en vigueur au début de 2011, contienne des initiatives majeures en faveur de la consommation.

Dans cette foulée, la Chine verrait la part de son produit intérieur brut générée par la consommation passer de son niveau actuel très faible, de 35%, à 45% d'ici à 2016 - un gain énorme pour un pays de 1,3 milliard d'habitants. Par comparaison, la consommation représente environ 70% de l'économie américaine.

Quant au légendaire gros appétit de ses compatriotes américains, M. Roach a porté à ce sujet un jugement sévère, dans une récente conférence à Singapour: «Les consommateurs américains ont des dettes records, aucun revenu et pas d'actif. Le consommateur américain est, en pratique, fini.» Un peu extrême comme commentaire, sans doute, mais un cri du coeur qui fait réfléchir.