Jim Shaw n'a jamais caché qu'il convoitait les meilleurs éléments de Canwest Global Communications, ce grand groupe média qui s'est affaissé sous le poids de ses dettes. Mais en l'emportant sur les sociétés rivales qui songeaient à racheter les chaînes spécialisées et le réseau télé Global, le grand patron du câblodistributeur Shaw Communications s'impose à la grandeur du pays comme le nouveau baron des médias.

En fait, si quelqu'un peut chausser les bottes du défunt Ted Rogers, ce formidable entrepreneur qui a assemblé un vaste empire de médias et de services de télécommunications, c'est peut-être Jim Shaw.

On a souvent dit de Ted Rogers qu'il se comportait comme un cow-boy en affaires. Mais l'homme d'affaires qui a la dégaine, les bottes et l'accent du vrai cow-boy, c'est Jim Shaw.

Ce dirigeant de Calgary ne mâche pas ses mots pour critiquer ses opposants. Il s'est fait de nombreux adversaires au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, au Fonds canadien de la télévision et chez les diffuseurs télés, grands comme petits.

Malgré toutes ses sorties publiques, Jim Shaw reste toutefois méconnu au Québec.

Cet homme de 52 ans a le franc-parler d'un entrepreneur. Mais il est en fait de la troisième génération de la famille Shaw. Son père a beau se faire appeler JR (abrégé de James Robert), comme le célèbre personnage du téléroman Dallas, sa famille n'est pas originaire de l'Alberta mais bien du sud de l'Ontario.

C'est là que Francis Shaw a fondé Shaw Industries, une entreprise qui se spécialisait à l'époque dans les services à l'industrie pétrolière. En 1961, Francis Shaw dépêche ses deux fils, JR et Les, à Edmonton pour qu'ils veillent à la construction d'une usine de revêtements anticorrosion pour les pipelines. Mais les deux frères croient (à tort) que cette industrie n'est pas promise à un grand avenir, compte tenu des nouveaux tuyaux en matières plastiques.

Voila pourquoi JR et son frère se lancent dans l'industrie du câble, en 1966. L'entreprise naît d'une petite frustration. À Edmonton, JR est trop éloigné de la frontière pour capter les chaînes américaines avec des oreilles de lapin, comme il le faisait plus jeune, en banlieue de Sarnia. En 1970, les Shaw obtiennent une licence de câblodistribution qui couvre la moitié de la ville d'Edmonton.

C'est à partir de cette base que JR Shaw a bâti l'entreprise à coups d'acquisitions et d'investissements. Aujourd'hui, Shaw est le deuxième câblodistributeur au pays, avec un chiffre d'affaires de 3,4 milliards de dollars et un effectif de 10 000 employés.

À la fin de son année financière 2009, Shaw comptait 2,3 millions d'abonnés du câble de base, 1,7 million de clients à son service internet et 823 000 abonnés téléphoniques. C'est sans parler de ses 900 000 abonnés à la télé par satellite de Shaw Direct (anciennement Star Choice).

Ce succès est d'autant plus notable que Shaw a déjà négocié la succession à la troisième génération, une opération toujours délicate. Dès 1998, JR Shaw passe le témoin à son fils aîné, alors que celui-ci est âgé de 41 ans.

Jeune, Jim Shaw n'ambitionnait pourtant pas de travailler pour l'entreprise familiale. Bon en calculs mais peu intéressé par l'école, Jim Shaw abandonne ses cours à l'Université de Calgary pour se lancer en affaires avec un copain. Ils produisent des sapins de Noël.

Jim Shaw fait tous les métiers, bossant même en usine comme ouvrier, avant d'accepter l'invitation de son père de travailler pour l'entreprise familiale. Il commence en conduisant un camion et en installant du câble. Sa soeur Heather et son frère Brad le suivent dans l'entreprise, où ils occupent des postes à la haute direction. Il n'y a que sa soeur Julie, une architecte, qui ne soit pas à l'emploi de Shaw, bien qu'elle en soit administratrice.

Peu de temps après son arrivée à la tête de l'entreprise, en 1999, Jim Shaw supervise le délestage des stations de radio que le câblodistributeur collectionne depuis 1987. C'est ce qui donne naissance à Corus Entertainment. La famille Shaw contrôle ce radiodiffuseur au moyen de ses actions de catégorie A, les seules avec droit de vote (84% des votes, 4% du capital). C'est le même modus operandi chez Shaw, où la famille contrôle 79% des votes mais seulement 12% du capital.

C'est peut-être ce délestage qui laisse croire que les Shaw sont moins familiers avec l'industrie des médias. Il n'empêche qu'en ne faisant qu'une bouchée des propriétés télé de l'ancien empire de la famille Asper, Shaw émerge comme un grand conglomérat sur le modèle de Rogers et de Quebecor. Ces deux entreprises intégrées offrent le contenu de la maison sur plusieurs plateformes de télécommunications.

Même si on ne connaît pas encore les termes financiers de cet investissement qui permettra à Shaw d'acquérir une participation d'au moins 20% dans une Canwest délestée de ses dettes et de ses journaux, cette transaction ne semble pas représenter un grand risque financier. Contrairement à la famille Asper qui dirigeait Canwest, les Shaw, opportunistes, achètent au creux du marché.

Mais cette transaction représente tout de même un risque au plan des opérations. Est-ce une bonne idée de consacrer temps et énergie à relancer Global, un réseau télévisé conventionnel, alors qu'on tarde à lancer le service téléphonique sans fil pour lequel Shaw a déjà déboursé 195 millions de dollars uniquement pour acquérir les licences ? Et cela, tandis que de nouveaux concurrents assoiffés s'implantent ?

Pendant ce temps, la société de télécommunications Telus chauffe les fesses du câblodistributeur albertain. Et Jim Shaw ne peut plus compter sur la neutralité de Rogers. En achetant Mountain Cablevision, un câblodistributeur de Hamilton, l'été dernier, Jim Shaw a rompu le pacte de non-agression qui avait été convenu entre son père et Ted Rogers au milieu des années 90 pour se séparer le pays - Shaw à l'ouest, Rogers à l'est, exception faite du Québec.

Jim Shaw a réalisé un grand coup de lasso. Mais, il n'a pas fini de ramener sa prise.