Même après toutes ces années, Joé Juneau en rit encore.

C'était juste avant les Jeux olympiques d'Albertville, à l'hiver 1992. À trois jours du début du tournoi de hockey, la chimie n'était pas encore tout à fait installée au sein de l'équipe canadienne de hockey, dirigée par Dave King. Quelques vétérans de la LNH, comme Dave Tippett, Curt Giles et Dave Hannan, s'étaient tardivement joints au groupe, tout comme Eric Lindros qui, cet hiver-là, faisait la navette entre les Generals d'Oshawa et l'équipe olympique.

Sous l'impulsion de Juneau et Lindros, un groupe de joueurs avaient emprunté des plateaux de la cafétéria pour aller dévaler les pentes de la station de ski avoisinante. «Il fallait faire quelque chose pour se détendre, parce qu'on commençait à sentir la pression, a raconté Juneau. On avait glissé sur nos cabarets pendant deux heures et on avait vraiment trippé. Je nous revois encore dans le banc de neige, Lindros et moi, tout mouillés. Ces moments-là nous avaient rapprochés. Mais Dave King était vraiment fâché quand il l'avait appris!»

La petite escapade n'avait pas nui aux Canadiens. Ils avaient remporté la médaille d'argent, s'inclinant 3-1 en finale contre la Communauté des États indépendants - l'ex-URSS. Relégué au troisième trio par l'arrivée des nouveaux venus, Juneau avait quand même brillé, marquant six buts et récoltant 15 points en huit parties, malgré une épaule en compote.

L'expérience l'a visiblement marqué. «Le jour où je vais mourir, les Jeux olympiques vont rester le plus gros événement sportif de ma vie, a dit Juneau. J'ai joué 13 ans dans la Ligue nationale de hockey et j'ai atteint deux fois la finale de la Coupe Stanley; mais ça n'accote pas les Jeux olympiques. Il n'y a rien de plus prestigieux que les Jeux.»

Un honneur

Dix-huit ans plus tard, l'ancien attaquant, qui a terminé sa carrière dans la LNH avec le Canadien, en 2004, s'apprête à renouer avec le monde olympique. Il a quitté Québec lundi à destination de Vancouver, où il sera adjoint à la chef de mission canadienne, Nathalie Lambert. «C'est un honneur incroyable que d'avoir la chance de retourner aux Jeux pour aider d'autres athlètes, a-t-il dit avant son départ. Je veux juste être moi-même. Si certains athlètes peuvent se sentir mieux appuyés par ma présence, tant mieux.»

Étant donné l'importance que risque de prendre le tournoi olympique à Vancouver, le Comité olympique canadien a bien fait de donner à Nathalie Lambert un lieutenant qui connaît le hockey (son autre adjoint sera l'ancien skieur alpin Steve Podborski, médaillé de bronze en descente aux Jeux de Lake Placid, en 1980).

À Albertville, il n'y avait que trois joueurs québécois au sein de l'équipe canadienne: Juneau, Patrick Lebeau et Adrian Plavsic. La province sera à peine mieux représentée à Vancouver, avec Martin Brodeur, Roberto Luongo, Marc-André Fleury et Patrice Bergeron. La controverse, prévisible, a jailli dès que l'alignement a été dévoilé, à la fin décembre.

Juneau refuse toutefois de se lancer dans une querelle avec Hockey Canada au sujet de la sous-représentation québécoise. «Ce n'est pas agréable de voir que Martin St-Louis n'a pas sa chance, mais peux-tu dire que l'un des gars choisis pour aller aux Jeux ne le mérite pas? C'est dommage, mais il n'y a pas de place pour 30 joueurs dans l'équipe.»

Il trace un parallèle avec la situation qu'il vit au Nunavik, où il est responsable depuis quatre ans d'un programme qui associe le hockey à la réussite et à l'assiduité scolaires. Du novice au midget, une équipe «sélect» est formée chaque automne pour disputer des tournois dans le sud du Québec. Les places sont aussi rares que convoitées chez les jeunes hockeyeurs inuits. «Le p'tit cul d'Ivujivik qui se fait retrancher de l'équipe pee-wee, c'est pas mal plus plate pour lui que pour Vincent Lecavalier», note Juneau.

«La pression, c'est bon»

Après avoir vécu à Kuujjuaq avec sa blonde et ses deux filles pendant deux ans, Juneau est de retour cette année à sa maison de Saint-Raymond-de-Portneuf, d'où il fait la navette régulièrement avec le Nord québécois.

Il est encore trop tôt pour mesurer le succès de son programme, dit-il, tout en reconnaissant que les défis demeurent nombreux. «Dans la moitié des (14) villages, ce n'est pas réaliste de s'impliquer, parce qu'il n'y a pas de structure en place. Il faut être patient et réaliste. Les endroits où ça marche sont ceux où l'on a une belle complicité avec les professeurs, qui s'impliquent dans le parascolaire. Peut-être que ça prendra 10 ans, si les jeunes qu'on a encadrés ont commencé à leur tour à encadrer les plus jeunes.»

Il retournera au Nunavik après les Jeux. Mais d'ici là, il entend se consacrer pleinement à l'équipe olympique canadienne. Une équipe qui, à l'entendre, risque de bien faire. «Quand tu injectes plus de 100 millions dans le sport, ça donne des résultats. Il y a une possibilité assez forte de remporter plus de 30 médailles. Ce n'est pas rien. Ça met de la pression sur les athlètes. Mais la pression, c'est bon.»

Au pis aller, si elle devient trop forte, les cabarets ne manquent sûrement pas à Vancouver. La neige, par contre...