La grande majorité des décisions prises par nos gouvernements sont imparfaites. Il est très rare qu'elles ne comportent pas de coûts, qu'elles n'aient pas d'effets indésirables, qu'elles ne fassent pas de mécontents.

Les choix collectifs reposent presque toujours sur des compromis, où il faut soupeser le pour et le contre, et où, en principe, on prend une décision lorsqu'on est certain que les avantages l'emportent nettement sur les inconvénients.

 

Cet équilibre est devenu de plus en plus difficile à atteindre dans nos débats publics. La fragmentation sociale, la multiplication des groupes de pression, la valorisation du discours militant et le penchant médiatique pour la confrontation donnent plus relief aux éléments négatifs d'un dossier et compromettent les mécanismes d'arbitrage. On le voit encore dans un dossier tout chaud, la décision de Loto-Québec de se lancer dans les jeux en ligne.

Le problème est le suivant. On note une croissance très importante du jeu en ligne. Au Québec, on a accès à 2000 sites de jeux, extraterritoriaux, souvent criminalisés, sur lesquels on n'a aucun contrôle. Le jeu en ligne est dangereux, plus susceptible de mener à une dépendance et à des comportements pathologiques que les jeux de hasard traditionnels.

C'est dans ce cadre que Loto-Québec, avec l'appui très clair du ministre des Finances Raymond Bachand, a annoncé son intention de proposer des jeux en ligne. Pour récupérer une partie de la manne, 60 millions par année, une somme relativement modeste, par rapport aux revenus de la société d'État. Mais aussi pour offrir ce genre d'activité dans un cadre légal et contrôlé, notamment avec des mécanismes de vérification qui écarteraient les mineurs. C'est le choix qu'ont fait un grand nombre de pays industrialisés.

Est-ce qu'on applaudit? Non. Parce que la présence de l'État dans les activités de pari et de jeux de hasard a quelque chose de gênant. Et aussi parce que ce projet comporte un coût. En se lançant dans le jeu en ligne, Loto-Québec, avec son image et ses outils de marketing, donne une caution morale à cette activité, et risque ainsi de contribuer à augmenter le nombre de joueurs en ligne. C'est le cas type d'une décision imparfaite, mais raisonnable, où les avantages l'emportent néanmoins sur les inconvénients.

La réaction la plus vive à cette annonce est venue de la Direction de la santé publique de Montréal. Une intervention normale, parce que les effets négatifs du jeu sont un enjeu de santé publique. Mais le problème, c'est la tendance des organismes de santé publique à privilégier l'approche militante à la démarche scientifique. Au lieu d'éclairer et conseiller, on se sert de l'autorité morale que confère la fonction pour agir comme un groupe de pression, avec les excès du genre.

Le directeur de la santé publique, le Dr Richard Lessard, s'est dit préoccupé par la décision de Loto-Québec, a souligné les risques pour les écoliers, l'impact sur le jeu pathologique, il a déploré l'absence d'un débat public. Mais comme les groupes militants, il s'est cantonné dans le rôle de critique, extérieur au processus de décision.

Et surtout, il a soigneusement refusé de répondre à la question la plus élémentaire: qu'est ce qu'on devrait fait face à la prolifération du jeu en ligne? Les risques de dommages ne sont-ils pas encore plus grands si la croissance de cette activité se fait en dehors de tout contrôle?

Cela nous donne une idée de ce qui se serait passé si le projet de Loto-Québec avait été soumis au débat public. Il est certainement plus facile de dénoncer les méfaits du jeu que de se mouiller en cherchant à prendre une décision éclairée avec les compromis que cela implique.