Dans une foule à Tokyo, vous seriez bien en peine de reconnaître Akio Toyoda, l'arrière-petit-fils de Sakichi Toyoda, l'inventeur prolifique à l'origine du constructeur Toyota.

En fait, vous ne sauriez pas qui chercher des yeux tellement le nouveau président de Toyota s'est fait discret depuis que les rappels et arrêts de production chez le premier constructeur mondial ont plongé cette entreprise japonaise dans la tourmente.

En une seule occasion Akio Toyoda a abordé le sujet, durant une courte entrevue de 75 secondes. Et c'est parce qu'il s'est fait coincer par une équipe de télévision japonaise lors du forum économique de Davos, en Suisse.

Alors que Toyota vient de lancer les rappels les plus importants de son histoire, l'heure est pourtant grave. Quoi qu'en disent certains commentateurs qui croient que cette histoire est montée en épingle. Maniaque de kaizen, cette méthode de gestion de la qualité qui consiste à perfectionner la production au quotidien, petit à petit, Toyota est mise en cause pour ce que ce constructeur a de plus précieux: sa réputation de fiabilité à toute épreuve.

Le 21 janvier, Toyota a rappelé 2,6 millions de véhicules au Canada et aux États-Unis afin de réparer des pédales d'accélérateur qui ont tendance à rester collées au plancher. Ce rappel s'est ensuite étendu à près de 2 millions véhicules de plus à travers le monde.

Il s'agit du deuxième rappel d'envergure en l'espace de quelques mois. À l'automne, Toyota a rappelé 5,4 millions de voitures dont les tapis, mal fixés, risquent d'entraver le bon fonctionnement de la pédale d'accélérateur.

Hier, le secrétaire américain au Transport, au nom prédestiné de Ray LaHood, est même allé jusqu'à déconseiller aux propriétaires des Toyota visées de conduire leur voiture avant de la faire réparer! Même si Ray LaHood a atténué ses propos par la suite, le mal est pour ainsi dire fait.

Toute cette mauvaise publicité entraînera une baisse des ventes de 20%, a prédit Shinichi Sasaki, premier vice-président responsable de la qualité, au cours de la première conférence de presse de Toyota au Japon.

Pendant qu'Akio Toyoda reste invisible, c'est Jim Lentz, président de la division américaine, qui doit défendre Toyota sur la place publique. Dans la publicité diffusée à la télé américaine et dans le message hautement scénarisé affiché sur YouTube, ce dirigeant présente ses excuses et se montre attristé des conséquences de ces rappels. Mais ce n'est pas comme si c'était le grand patron qui assumait ses responsabilités. Cet acte de contrition, même s'il est largement symbolique, est pourtant essentiel pour rétablir la confiance des consommateurs, tous les gestionnaires de crise vous le diront.

À la place, on reste sur l'impression que Toyota se défile. Impression qui est renforcée par le fait que les autorités américaines accusent le constructeur japonais d'avoir traîné les pieds et d'avoir compromis la sécurité de ses clients. Il a fallu que les responsables américains fassent le voyage au Japon, en décembre, pour que Toyota admette ses problèmes d'accélérateur et les prenne au sérieux.

Certains croient que le jupon des Américains dépasse, alors qu'ils essaient de relancer leur industrie automobile nationale. Admettons qu'ils sont certainement plus prompts à critiquer Toyota. Mais cela n'explique pas tout. Même les autorités du transport japonaises ont reçu des plaintes au sujet des freins du modèle le plus récent de la Prius. La production de Toyota s'est emballée ces dernières années, alors que le constructeur roulait à plein régime pour conquérir le marché américain.

Sachant cela, Akio Toyoda aurait dû aller au-devant de la critique. D'autant plus que ce dirigeant de 53 ans parle couramment l'anglais et est familier avec la culture nord-américaine. Il a obtenu sa maîtrise en gestion au collège Babson, près de Boston. Akio Toyoda a d'ailleurs accordé plusieurs entrevues lors de son entrée en fonction en juin dernier.

Il aurait pu suivre l'exemple de Michael McCain, le grand patron de Maple Leaf Foods. Le premier transformateur alimentaire au pays a connu la pire crise de son histoire lorsque l'une de ses usines ontariennes a été contaminée par la bactérie responsable de la listériose, en août 2008. Vingt personnes en seraient mortes.

Michael McCain n'a pas attendu avant d'enregistrer un message télévisé d'excuses, qui a aussi été diffusé sur YouTube. La peine et la compassion se lisaient sur son visage.

En conférence de presse le lendemain, Michael McCain a expliqué qu'il avait repoussé les conseils de ses avocats et de ses comptables. «Ce n'est pas une question d'argent ou de responsabilité légale, a-t-il dit. C'est une question d'être imputable: c'est notre responsabilité de fournir de la nourriture qui est propre à la consommation.»

Résultat: la réputation de Maple Leaf a moins souffert de cette crise que celle du système d'inspection canadien, qui a été clouée au pilori.

Nombreux ont été ceux qui ont relevé l'opportunisme et la promptitude avec laquelle Ford et General Motors essaient maintenant de profiter de la crise chez leur grand concurrent japonais. La semaine dernière, ils ont offert des rabais et des prêts sans intérêt aux propriétaires qui sont prêts à troquer leur Toyota contre l'un de leurs véhicules. Mais Detroit n'avait nul besoin d'encourager la désertion de ces automobilistes.

Toyota s'y prend très bien tout seul.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca