Béni soit Roger Jackson.

Grâce à lui, mes collègues et moi aurons une réponse toute prête quand nos patrons vont s'énerver, quelques jours après le début des Jeux olympiques de Vancouver, au motif que le Canada tire de l'arrière dans la course aux médailles: «On se calme!»

C'est arrivé aux Jeux de Turin, il y a quatre ans, et ça s'est répété à Pékin en 2008: les hasards de l'horaire des compétitions font en sorte que le Canada ne cartonne pas dans la première semaine des Jeux, ce qui, immanquablement, pousse les médias à appuyer sur le bouton de panique.

Ce genre de psychodrame risque d'autant plus de se répéter cette année que le Canada, sous l'impulsion du programme À nous le podium (ANP), que dirige Jackson, s'est donné pour objectif de terminer au premier rang pour le total de médailles à Vancouver.

Jackson y est donc allé d'une mise en garde lors d'une conférence téléphonique, hier. «Nous ne nous attendons pas à lutter pour la tête du classement avant les derniers jours des Jeux, a-t-il dit. Au jour 8, il se peut que les États-Unis et l'Allemagne aient chacun une vingtaine de médailles, contre 10 pour le Canada. Mais entre le jour 13 et le jour 16 (les quatre derniers jours de compétition), compte tenu de l'horaire et de nos forces, les athlètes canadiens pourraient gagner 12 médailles.»

En fait, ANP estime qu'une trentaine d'athlètes canadiens ont des chances sérieuses de médailles. Entre 30 et 40 autres font partie du top 6 mondial de leur discipline et peuvent donc rêver au podium. «Nous avons donc plus d'une soixantaine d'athlètes bien placés pour connaître du succès. C'est à peu près le même nombre que l'Allemagne et un peu plus que les États-Unis», a dit Jackson.

Selon les calculs d'ANP, le Canada compte une vingtaine d'espoirs de médaille de plus qu'à Turin, où le Canada avait gagné 24 médailles, dont sept d'or, et terminé au troisième rang du classement, derrière l'Allemagne (29) et les États-Unis (25).

Un des indicateurs qu'utilise ANP est le taux de conversion, soit le pourcentage d'athlètes ayant réussi un top 5 sur la scène internationale qui parviennent à monter sur le podium lors des Jeux. Pour le Canada, ce taux se situe habituellement entre 35 et 40%. Jackson affirme qu'il pourrait dépasser les 50% à Vancouver, ce qui assurerait le pays de la meilleure récolte de médailles de son histoire aux Jeux d'hiver. «J'ai confiance que les résultats de nos athlètes vont procurer beaucoup de fierté aux Canadiens.»

Une révolution

Si les athlètes canadiens font bien à Vancouver - Sports Illustrated leur prédit le deuxième rang, derrière l'Allemagne -, une partie du mérite reviendra à ANP, dont la création, il y a cinq ans, a révolutionné le financement du sport de haut niveau au Canada. Désormais, il n'y a plus d'équivoque: l'accent est mis sur les sports et les athlètes capables de gagner des médailles olympiques.

En 2009-2010, ANP a distribué près de 60 millions, répartis à peu près également entre les sports d'hiver et d'été. Mais l'incertitude règne en ce qui concerne l'après-JO, en raison de l'épuisement du financement provenant des contributions des provinces et des commanditaires. ANP attend avec impatience la réponse du fédéral à sa demande d'un financement de remplacement de 22 millions par année.

Le doute actuel quant aux intentions du gouvernement Harper a déjà des conséquences négatives, a fait remarquer Jackson. Plusieurs organisations sportives sont inquiètes et craignent un exode de leur personnel qualifié. «Le Centre canadien des sports de Calgary a récemment licencié 39 spécialistes des sciences du sport à compter du 1er avril parce qu'ANP ne pouvait garantir son financement, a-t-il indiqué. Le ministre d'État au Sport, Gary Lunn, a fait de ces 22 millions sa priorité dans sa présentation au ministère des Finances. Nous attendons la réponse du gouvernement dans le budget du 4 mars.»

Il faut espérer que le gouvernement Harper ne dorme pas au gaz. Et tant qu'à y être, il pourrait aussi préciser ses intentions quant à la structure même d'ANP. Ses dirigeants aimeraient que l'organisme demeure une entité indépendante, tandis que le Comité olympique canadien, dont le Québécois Marcel Aubut deviendra bientôt le président, souhaiterait l'intégrer en son sein.

Un panel d'experts réuni par le ministre Lunn a formulé des recommandations au ministre au début décembre. Leur rapport devait être rendu public, mais au cabinet de M. Lunn, on indique que cela ne sera finalement fait qu'après les Jeux.

Il ne fait aucun doute que l'amalgamation d'À nous le podium au COC n'est pas le scénario que préconisent les dirigeants d'ANP. «Le COC est un partenaire important d'À nous le podium, mais nous croyons fermement que le succès et la capacité de prendre les décisions difficiles requièrent une agence indépendante du sport de haute performance, avec un conseil d'administration indépendant», a dit Roger Jackson.

Au fond, le sort d'ANP est entre les mains des athlètes canadiens. S'ils font aussi bien à Vancouver que M. Jackson l'espère, le gouvernement fédéral y pensera sûrement à deux fois avant de briser une formule gagnante.