La Cour suprême a fait preuve à la fois de détermination et de sagesse dans le jugement rendu vendredi sur la situation d'Omar Khadr, ce jeune Canadien emprisonné depuis plus de sept ans à la base militaire américaine de Guantanamo.

Détermination, parce qu'elle ne s'est pas laissée intimider par les mises en garde des procureurs du gouvernement Harper et a affirmé avec force qu'Ottawa avait violé les droits fondamentaux de Khadr. En effet, en 2003, des agents du SCRS et des représentants du ministère des Affaires étrangères ont interrogé Khadr et transmis des informations aux Américains, devenant ainsi complices d'un système jugé illégal par la Cour suprême des États-Unis. L'année suivante, un diplomate canadien a interrogé le détenu sachant très bien que celui-ci avait été privé de sommeil par ses geôliers. «Le fait d'avoir interrogé un adolescent pour lui soutirer des déclarations relatives aux accusations criminelles les plus sérieuses qui soient, alors qu'il était détenu dans ces conditions et qu'il ne pouvait pas consulté un avocat (...) contrevient aux normes canadiennes les plus élémentaires quant aux traitements à accorder aux suspects adolescents détenus», écrit le plus haut tribunal du pays dans un jugement unanime.

Omar Khadr a donc droit à une réparation. Les tribunaux inférieurs avaient conclu que cette réparation devait prendre la forme d'une requête du gouvernement canadien adressée à Washington afin que Khadr soit libéré. À l'époque, nous avions exprimé notre malaise devant un tel activisme judiciaire : «Qui sont les magistrats pour estimer, à l'encontre de l'opinion du ministère des Affaires étrangères, qu'une telle demande est la meilleure façon de procéder ? Sur quelle base croient-ils pouvoir mieux prévoir que les diplomates la réaction des États-Unis ?»

En droit constitutionnel britannique, les affaires étrangères relèvent de la «prérogative royale» ; autrement dit, elles sont le domaine exclusif du gouvernement. Ce n'est pas uniquement une question juridique, c'est une question de bon sens. Les relations internationales sont éminemment complexes et comportent une bonne part de secret ; les juges ne disposent ni de toutes les connaissances ni de la légitimité nécessaire pour s'aventurer dans ce champ de mines.

La Cour suprême l'a compris et fait montre de plus de prudence que les auteurs des deux jugements précédents. Elle souligne toutefois que la prérogative royale ne soustrait pas le gouvernement de la supervision des tribunaux quand les droits fondamentaux d'un Canadien sont en cause.

Dans le cas présent, le tribunal préfère laisser le gouvernement décider de ce qu'il doit faire pour réparer les torts subis par Omar Khadr : «L'intimé n'est pas sous le contrôle du gouvernement canadien ; l'efficacité de la réparation proposée est incertaine ; et la Cour n'est pas en mesure d'évaluer correctement les conséquences d'une demande de rapatriement sur les relations étrangères du Canada.» Cependant, la Cour suprême laisse entendre que sa réserve aura des limites ; la solution choisie vaut «pour l'instant».

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Devant l'affirmation répétée par les tribunaux, jusqu'à la Cour suprême, que les droits fondamentaux d'Omar Khadr ont été violés avec la complicité des autorités canadiennes, le gouvernement de Stephen Harper ne peut pas garder les bras croisés. «Le seule chose que le gouvernement ne peut pas faire, c'est ne rien faire», a souligné avec raison le chef de l'Opposition officielle, Michael Ignatieff.

Jusqu'ici, les conservateurs avaient évité d'expliquer clairement les raisons de leur attentisme dans ce dossier. Le jugement de vendredi rend cette attitude plus injustifiée que jamais. Dans un bref communiqué, le ministre de la Justice, Rob Nicholson, s'est dit «heureux» que soit reconnue «la responsabilité constitutionnelle de l'exécutif de prendre les décisions concernant les affaires étrangères dans le contexte de circonstances complexes et en fluctuation constante, en tenant compte des intérêts nationaux plus larges du Canada.» Dans ce communiqué, pas un mot sur la déclaration de la Cour selon laquelle l'État canadien a violé les droits d'Omar Khadr !

«Le gouvernement étudiera avec soin la décision de la Cour suprême et déterminera quelles mesures additionnelles il prendra», conclut M. Nicholson. Sans trop nous faire d'illusions, nous espérons que le cabinet fédéral se décidera enfin à demander le rapatriement de Khadr. Dans l'hypothèse où il sait déjà que cette requête sera rejetée, il doit la présenter quand même, et insister. C'est la meilleure manière de faire savoir au gouvernement des États-Unis combien les Canadiens sont préoccupés de voir violer ainsi les droits fondamentaux d'un concitoyen.