Jusqu'ici, l'élan de solidarité provoqué par l'immense tragédie haïtienne a été admirable. Les Nations unies entreprennent une opération d'aide humanitaire sans précédent. Les États-Unis déploient des ressources considérables et les politiciens américains travaillent ensemble au-delà de leurs divisions partisanes. Le gouvernement Harper a réagi avec vigueur et promptitude.

Bouleversés par cette catastrophe, les citoyens, tant au Québec, qu'au Canada, aux États-Unis et ailleurs dans le monde, expriment une émotion dont la sincérité et l'intensité redonnent confiance dans la nature humaine. Ils veulent faire quelque chose, ils veulent aider.

 

J'ai écrit «jusqu'ici». Parce qu'il faut se demander combien de temps cet élan se maintiendra. On sait fort bien que les centres d'intérêt des gens vont se déplacer, que l'opinion publique finira par s'habituer à un drame qui, pour l'instant, lui apparaît comme inexplicable et inacceptable ; que la crise haïtienne, quand elle s'installera dans le quotidien, perdra son aspect spectaculaire, que nos passions collectives trouveront d'autres objets. Hélas. On sait aussi que les médias, qui jouent un rôle important dans cette mobilisation, s'intéresseront progressivement à d'autres nouvelles et à d'autres enjeux. Pendant que le drame vécu par des centaines de milliers d'Haïtiens sera tout aussi intolérable.

Il faut déjà poser cette question, parce que l'un des grands défis de cet effort de soutien international sera de trouver un second souffle, pour que la volonté politique des pays donateurs et l'intensité de l'aide puissent survivre à cette prévisible chute d'intérêt.

Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, a qualifié le séisme qui a frappé Haïti de «plus grave crise humanitaire depuis des décennies», en raison de l'ampleur intrinsèque du désastre, mais aussi en raison de son impact sur les structures d'accueil, que ce soient les ONG ou le gouvernement haïtien. Cela impose une intervention d'urgence que l'on voit se déployer pour venir en aide à un peuple en détresse qui a faim, qui a soif, qui a besoin d'aide médicale, de sécurité, d'abris.

Mais déjà, on peut imaginer l'ampleur de la tâche pour permettre un semblant de retour à la normale, si on peut appeler « normales « les conditions de vie qui prévalaient avant le séisme. Quant à la véritable reconstruction des villes, des infrastructures, des réseaux, c'est un chantier proprement colossal.

Le président René Préval, qui semble reprendre une certaine maîtrise de la situation, comprenait bien ces enjeux quand il disait, dans une entrevue hier à Radio-Canada, qu'il fallait s'occuper du court terme, mais qu'il fallait aussi penser à moyen et long termes.

Ce n'est donc pas pendant six mois ou un an que l'aide sera nécessaire, qu'il faudra fournir des fonds, des militaires, des policiers, du personnel médical, des spécialistes, mais pendant cinq ans, 10 ans, 15 ans.

De longues années durant lesquelles il ne faudra pas seulement composer avec l'indifférence, mais aussi, tant du côté des Haïtiens que de celui des pays donateurs, avec les écueils, les difficultés, les moments de découragement et de désillusion. Tout cela demandera du souffle, beaucoup de souffle, pour maintenir l'effort coûte que coûte.

Il faut se poser ces questions dès maintenant, parce que le maintien de ce souffle nécessaire n'aura rien de naturel et d'automatique pour des sociétés comme les nôtres. Face à nos propres problèmes, nous avons le plus grand mal à penser et à agir dans une perspective de moyen et long termes, de planifier en fonction de l'avenir. L'horizon temporel de nos préoccupations est court, celui de nos choix politiques aussi.

Et le défi que pose l'effort pour soutenir le peuple haïtien dépendra largement de notre capacité de penser à très long terme, et donc de réussir pour les autres ce que nous sommes d'habitude incapables de faire pour nous-mêmes.