Bientôt, il faudra penser à rebâtir Port-au-Prince. Et à permettre un nouveau départ à ce peuple dont l'histoire est tragique. Un plan Marshall? L'expression, devenue un cliché, est toujours enthousiasmante. Mais le rappel d'une opération réussie dans l'Europe d'il y a 60 ans colle mal à la réalité haïtienne d'aujourd'hui.

La difficulté qu'on éprouve depuis trois jours à dispenser les premiers secours donne une idée, en effet, de l'ampleur de la tâche qui viendra après. Les «vétérans» des grandes catastrophes parlent d'une situation bien pire que ce qu'ils ont jamais vu, même après le tsunami de 2004, qui avait fait 200 000 morts en Asie.

 

Il faut donc être réaliste: malgré une timide embellie à la fin de 2009, Haïti était un État presque failli, de sorte que tout y sera extraordinairement difficile.

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Alors que les corps jonchent toujours les rues de Port-au-Prince, l'homme le plus volubile au sujet de l'éventuelle reconstruction est l'économiste Paul Collier.

Professeur à Oxford, il est l'auteur d'un remarquable essai sur la pauvreté dans le monde (The Bottom Billion, dont nous avons déjà traité ici). Il y a exactement un an, Collier a soumis à l'ONU un rapport sur la situation des Haïtiens après les désastres à répétition de 2008. C'est toujours pertinent.

Bien sûr, Collier parle de création d'emplois (dans l'agro-alimentaire et le textile/vêtement) et d'aide à l'exportation (zones désignées et abolition des barrières). Mais dans son rapport et dans les commentaires que celui-ci a suscités, sont surtout évoquées trois actions qui devront être immédiates, planifiées avant que la première pierre ne soit posée.

Un: la sécurité sera primordiale. Une population à la fois très jeune, très pauvre, déjà handicapée par une criminalité historiquement liée à la politique ainsi qu'à la corruption et à la drogue, constitue une catastrophe, une autre, en attente de se produire.

Deux: l'aide internationale, déjà importante, entrant dans le pays est morcelée. Par exemple, on recense 3000 ONGs, dont seules 400 sont officiellement connues du gouvernement! Si on déverse plus de ressources, il faudra plus d'encadrement, d'autant que l'État haïtien est très mal équipé pour s'en charger.

Trois: pour toutes sortes de raisons, la société haïtienne demeure structurellement inégalitaire. Il faudra donc veiller à ce que le progrès économique éventuel rejoigne les couches les plus pauvres.

On ajoutera qu'il est impératif que les Haïtiens eux-mêmes (y compris la diaspora) soient impliqués, et soient vus par la population comme l'étant bel et bien, dans l'entreprise de reconstruction. La fibre nationale est sensible à la chose.

Il ne faut pas la heurter: c'est cette fibre même qui, sans doute, permet aux Haïtiens de survivre aux plus effroyables catastrophes.