Ce n'est pas un trait d'humour: ce serait inimaginable dans les circonstances. Plutôt un terrible cri de souffrance. Ou de désespoir. C'est l'histoire d'un dieu insensible et vengeur qui se demande: «Voyons voir. Les ouragans, les inondations, les glissements de terrain, l'oppression, les coups d'État, la déforestation, l'exode, la maladie, la misère... qu'est-ce que je n'ai pas encore fait descendre du ciel pour accabler les Haïtiens?» Le dieu a trouvé: un gigantesque tremblement de terre, il ne restait que ça.

La fable résume ce que chacun ressent douloureusement depuis 36 heures: la tragédie haïtienne se démarque des autres grands désastres naturels des dernières années en ce qu'elle incarne l'Injustice, avec une majuscule et dans sa forme la plus pure. L'Injustice infligée à un peuple dont on a l'impression, avec ce dernier coup porté au coeur après mille autres, qu'il ne se relèvera jamais.

 

Même le président de la république haïtienne, René Préval, a été vu dans la rue avec ses concitoyens. Il a perdu son palais et sa maison, comme dans les contes à la fois tristes et édifiants qu'on lit aux enfants pour leur apprendre ce que sont l'épreuve, l'injustice et le malheur.

Le «madichon», comme on dit en créole.

Voyant cela, il est tentant de blâmer et de gesticuler en tous sens.

Blâmer la déforestation, qui a pourtant peu à voir avec les plaques tectoniques. Blâmer l'ONU, qui n'en a jamais fait assez; ou les Américains, à qui il est arrivé d'en faire trop. Blâmer les institutions dispensant l'aide internationale, trop dirigistes ou pas assez... Pour l'instant, blâmer est inutile: laissons tomber.

De même, il faut jusqu'à un certain point résister à l'impulsion irrraisonnée. Le désordre n'arrangera rien. En 2004, on a eu à regretter des élans du coeur qui n'avaient rien apporté aux Haïtiens alors affligés par une autre catastrophe naturelle.

Depuis, on a appris, bien sûr.

Hier, de toutes parts (consulat d'Haïti à Montréal, ONGs, groupes de pression, gouvernements du Québec et du Canada, d'autres encore), des consignes et des initiatives sensées sont immédiatement venues.

Pour porter secours, il faut donner de l'argent, pas des objets. Donner de l'argent à des organismes d'aide qui ont déjà une forte présence là-bas: la Croix-Rouge, au premier chef, mais aussi une demi-douzaine d'autres, connus, fiables, efficaces.

Et il faut diriger les efforts vers le plus pressant: l'eau, les soins, l'hygiène, la sécurité, les communications.

Plus tard, il sera temps de penser à reconstruire Port-au-Prince, ce qui, pour l'instant, alors qu'on y meurt toujours sous les décombres, n'est encore qu'un projet chimérique. Et il sera temps de blâmer les dieux, si on y tient.