On peut bien se demander sur quelle planète vivent les dirigeants syndicaux de la fonction publique québécoise, qui ne réclament rien de moins que des augmentations salariales de 11,25% sur trois ans. Une facture de 3,2 milliards de dollars pour le gouvernement.

La situation financière de l'État québécois est désespérée. Dans son budget de mars 2009, l'ex-ministre des Finances Monique Jérôme-Forget prévoyait un déficit de 3,9 milliards. Pour y parvenir, elle annonçait toute une série de mesures draconiennes: hausse de la taxe de vente, limitation de la croissance des dépenses à 3,2% par année (ce qui suppose un immense effort quand on sait que la moyenne des 10 dernières années se situe à 4,7%), indexation des tarifs, autres mesures non identifiées mais évaluées à 3,7 milliards.

Et avec toutes ces contraintes, on espérait limiter le déficit à 3,9 milliards cette année, et revenir à l'équilibre financier dans quatre ans. Or, on sait déjà que ce montant sera largement défoncé avant la fin de l'exercice.

Ces mauvaises nouvelles surviennent alors que le gouvernement québécois doit traîner une dette qui dépasse les 214 milliards.

Pas de problème, nous disent les dirigeants syndicaux. Il suffit d'augmenter les impôts et de retarder l'échéance du déficit zéro!

Ainsi, le Front commun suggère que Québec aille chercher un milliard par année dans les poches des riches qui gagnent plus de 125 000$.

Les statistiques fiscales les plus récentes, celles de l'année d'imposition 2006, nous apprennent que le Québec compte 188 000 contribuables gagnant plus de 100 000$. Sur 5,9 millions de contribuables, cela ne fait pas beaucoup de monde, à peine 3% des contribuables. C'est là un des grands problèmes de la société québécoise: elle ne compte pas assez de richesse.

Si le gouvernement veut aller chercher un milliard de plus de ce côté, comme le suggèrent les dirigeants syndicaux, il devrait donc imposer d'un seul coup une hausse d'impôts de 17% à cette catégorie de contribuables.

C'est évidemment impensable, et c'est pour cela qu'il faudra aussi envisager une hausse d'impôts pour tous les «riches» qui gagnent 50 000$ et plus.

Tout cela pour aller chercher un milliard.

Le Front commun suggère aussi d'augmenter les droits miniers. Facile à dire, plus difficile à faire. Au cours du dernier exercice, Québec a récolté 90 millions à ce chapitre. C'est peu, et c'est en grande partie parce que les sociétés minières peuvent réclamer des crédits d'impôt. Sans ces crédits, le gouvernement pourrait espérer toucher aux alentours de 300 à 400 millions en redevances. Ce serait tentant d'aller chercher cet argent. Mais il y a un prix à payer pour cela: si vous coupez les crédits à l'exploration minière, vous faites des milliers de chômeurs dans les régions ressources. De toute façon, ces quelques centaines de millions sont largement insuffisants pour financer les demandes syndicales.

Les chefs syndicaux font aussi valoir que Québec pourrait faire comme d'autres provinces, et reporter à plus tard l'objectif du déficit zéro.

Ce serait une erreur épouvantable. Le Québec, on l'a vu, est déjà endetté jusqu'au cou, beaucoup plus que les autres provinces. À son niveau actuel, la dette compromet la capacité du gouvernement d'offrir des services publics de qualité. Et chaque nouveau déficit vient alourdir davantage cette dette.

Il est vrai que d'autres provinces ont décidé de reporter la lutte au déficit à plus tard. Le Front commun a probablement en tête le cas de l'Ontario. Il se passe actuellement en Ontario quelque chose de dramatique. Dans son budget de mars 2009, le ministre ontarien des Finances, Dwight Duncan, annonçait un déficit de 14 milliards. En juin, il revoyait cette prévision à la hausse, à 19 milliards. Le mois dernier, à 25 milliards, ce qui est énorme, même pour une province comme l'Ontario. Et ce n'est pas fini: au cours des deux exercices suivants, on prévoit de nouveaux déficits de 21 et de 19 milliards, chiffres qui risquent eux aussi d'être dépassés. Les prévisions du ministère ontarien ne sont plus prises au sérieux par personne, et on ne voit pas quand la province retrouvera l'équilibre. Or, le gouvernement de l'Ontario en est justement rendu là parce qu'il a choisi, dès 2003, d'ouvrir les vannes. Au cours d'un premier mandat, entre 2003 et 2007, les dépenses du gouvernement ontarien sont passées de 74 à 97 milliards; et d'ici la fin de son deuxième mandat, en 2011, on prévoit qu'elles atteindront 118 milliards, une hausse moyenne de près de 7% par année. Cette année-là, la dette publique de l'Ontario se situera entre 250 et 300 milliards. Certes, toutes proportions gardées, c'est moins lourd qu'au Québec. Les Ontariens sont plus nombreux et plus riches que les Québécois. N'empêche: ils en ont pour des années à se sortir du trou.

C'est à peu près le pire exemple que l'on peut trouver. Est-ce bien vers ce genre de dérapage que le Front commun veut entraîner le gouvernement du Québec?