Il est difficile de dire quand ça a commencé. Mais le fait est qu'à un moment donné de l'histoire récente, l'acte de choisir des jouets destinés aux bambins est devenu une corvée politique, par conséquent insupportable. Quand était-ce, au juste? Probablement en même temps qu'on s'est mis à répéter que «tout est politique»? C'était dans les années 60, sûrement.

Parce que, avec le recul, on se rend compte que ces années-là en ont produit, des choses insupportables...

Ça a donc commencé avec les jouets de guerre qu'il a fallu écarter, quitte à voir le jeune soldat refoulé se porter à l'attaque avec un manche à balai. Ça s'est poursuivi avec les jouets très marqués au point de vue du genre, le camion et la poupée... infréquentables à moins de les offrir à contresens, évidemment. Ensuite, il a fallu que ce soit éducatif: des hochets qui apprennent l'abc de la physique nucléaire ou des boîtes à musique jouant un extrait de la Troisième symphonie de Rachmaninov.

 

Enfin, le nec plus ultra est apparu: des jouets en bois d'arbre véritable, simili-artisanaux, le cheval berçant et le bilboquet, tellement beaux lorsque innocemment abandonnés dans la salle de séjour... mais que les enfants fuient comme la peste, bien entendu.

* * *

Aujourd'hui, en plus, il faut qu'elles soient vertes, les étrennes. Sécuritaires. Emballées avec du matériel recyclable. Équitables. De fabrication locale. N'offusquant aucune des minorités officiellement homologuées. Et portant un message social dûment accrédité.

Ainsi, la petite Gwen, créée par la firme American Girl, est idéale. Selon le dépliant qui l'accompagne, Gwen fut pendant un temps sans abri et vécut avec sa mère dans une voiture après que... son père les eut toutes deux abandonnées comme des vieilles chaussettes! Édifiant message, n'est-ce pas? Cependant, on ne sait trop comment aborder la «Barbie à burqa» présentée par Mattel à l'occasion du 50e anniversaire de la grande blonde, le 20 novembre dernier. Qu'en pense l'imam du voisinage?...

Il reste que, Noël tombant cette année un 25 décembre, c'est-à-dire huit jours après la fin du sommet de Copenhague, c'est le cadeau antisceptique qui sera le plus prisé.

Même la nouvelle mouture du jeu de Monopoly, véritable serre chaude du capitalisme sauvage, s'y met: dans Monopoly City, la valeur des propriétés est affectée par la proximité de sources de pollution. Apparaît alors utile un parc de camions de recyclage, d'un beau vert, fabriqués par la firme américaine Green Toys (quoi d'autre?) qui les destine aux 3 à 6 ans.

On trouve aussi sur le marché une tasse dont le pourtour se modifie, à mesure qu'on y verse du chocolat chaud, et montre la planète se dirigeant vers l'apocalypse qui nous tuera tous. On boira à cette tasse en lisant en famille La Grande Menace, beau livre illustré disponible chez Équiterre, expliquant aux tout-petits la crise actuelle: smog, pollution, surconsommation, pétrole, guerre.

Après cela, lorsque vous récupérerez vos bambins cachés sous le lit, pleurant d'effroi et tremblant de tous leurs membres, consolez-les en leur offrant... Poutine. Il s'agit d'un jeu de table qui consiste à endosser l'uniforme du personnel d'un fast-food pour servir des tonnes de hot-dogs, de frites, de hamburgers et de poutines aux clients! C'est plein de gras trans, compétitif, presque violent...

La firme québécoise qui fabrique cette admirable horreur rappelle que le jeu est «un acte gratuit, sans autre fin que lui-même et le plaisir qu'il procure».

On avait presque oublié.