C'est la triste fin de l'histoire pour les chercheurs d'Æterna Zentaris qui travaillaient depuis des années au développement du cetrorelix, un médicament qui était censé traiter l'enflure de la prostate (l'hyperplasie bénigne de la prostate, de son nom scientifique).

Les résultats de la deuxième série d'essais cliniques de phase III sont aussi décevants que les premiers, qui ont eu l'effet d'une bombe en Bourse en août. Le cetrorelix n'est pas plus efficace qu'un placebo pour traiter cette maladie qui touche plus de 20 millions d'hommes uniquement aux États-Unis.

Les essais de phase III sont les derniers qui sont menés avant la commercialisation d'un produit. De tomber aussi près du but, après des années et des millions de dollars d'efforts, c'est une déception cruelle, immanquablement. Mais Æterna peut se consoler. Ce n'était pas l'entreprise d'un seul produit, comme c'est trop souvent le cas dans cette industrie.

Æterna a d'autres médicaments sur le feu, comme on dit. La perifosine pourrait traiter les malades atteints du myélome multiple, une forme de cancer du sang. C'est l'espoir d'Æterna et de son partenaire, qui entreprendront bientôt des essais cliniques de phase III. Il y a aussi une molécule qui pourrait soigner le cancer des ovaires et l'endomètre, bien qu'Æterna n'en soit qu'aux essais de phase II. Et en attendant que ces essais aboutissent, l'entreprise de Québec souhaite commercialiser une molécule qui permettrait de diagnostiquer une déficience en hormone de croissance.

Bref, les insuccès, cela fait partie de la vie pour les biotechnologies, où seule une infime minorité de molécules tient ses promesses. Mais les ennuis d'Æterna, l'une des «vedettes» du Québec, ne manqueront pas de saper la confiance des investisseurs. Or, une telle déficience ne se corrige pas en avalant quelques comprimés...

La déception d'Æterna tombe à un bien mauvais moment pour cette industrie québécoise mal en point. Même si certaines PME comme Labopharm travaillent sur des médicaments prometteurs, ce sont les exceptions d'une industrie qui a perdu son lustre.

Il y quelques années, les biotechs étaient invariablement données en exemple comme l'une des forces vives du Québec. Mais aujourd'hui, même l'industrie hésiterait à se mettre autant en évidence. Il est d'ailleurs révélateur que, dans sa nouvelle stratégique biopharmaceutique, dévoilée cet automne, le gouvernement donne encore BioChem Pharma en exemple, un «success story» vendu en 2001!

Le Québec, qui occupait le troisième rang en Amérique du Nord pour ses investissements en biotechnologies à la fin des années 90, a glissé au septième rang, indique Yves Rosconi, président du regroupement BioQuébec, en citant une étude de la firme américaine Burrill. Le Québec s'est ainsi fait devancer par l'Ontario qui met les bouchées doubles depuis quatre ans.

Le Québec a tenu l'industrie de la biotech pour acquise. Et il est tombé dans la complaisance.

Lorsque les libéraux ont pris le pouvoir, en 2003, ils ont fait le grand ménage dans la soixantaine de crédits d'impôt pour les entreprises. Malheureusement, ils ont aussi réduit le crédit d'impôt à la R & D, qui avait contribué à l'essor de l'industrie.

Parallèlement, la Société générale de financement (SGF) s'est cassé le nez en investissant plus de 100 millions de dollars dans DSM Biologics. Après son aventure désastreuse dans les protéines médicamenteuses, la SGF a juré qu'on ne l'y reprendrait plus. La SGF a décrété un moratoire sur les investissements dans les sciences de la vie. La société d'État est timidement revenue dans le secteur, mais elle n'assume plus de risques associés à la recherche. Par exemple, la SGF a récemment investi dans les Laboratoires Paladin, un spécialiste de l'achat de brevets et de la commercialisation de médicaments.

La crise du crédit a fait le reste pour bon nombre de PME québécoises qui ont jeté l'éponge, faute d'avoir pu trouver de financement afin de poursuivre leurs projets de R & D.

C'est sans parler de la mutation de l'industrie pharmaceutique en toile de fond. Les multinationales ont de plus en plus de mal à frapper des courts circuits, même si elles consacrent des sommes faramineuses à la recherche. Sommes qu'elles ont du mal à rentabiliser durant la période d'exclusivité accordée par les brevets. D'autant plus que les administrations publiques, prises à la gorge, rechignent à inclure les nouveaux médicaments sur la liste des traitements autorisés aux fins de remboursement. Ces difficultés ont relancé les fusions et les acquisitions, avec tous les dommages collatéraux qui s'observent chez leurs filiales au Québec.

Le Québec a ainsi perdu une quarantaine d'acteurs au cours de la dernière année et demie, estime à vue de nez Yves Rosconi, par ailleurs président de Theratechnologies.

Le gouvernement a constaté l'étendue des dégâts. Depuis le dernier budget, Québec a mis de l'avant une série de mesures pour venir en aide au secteur. Création d'un fonds de capital risque. Lancement d'un nouveau Régime d'épargne-actions, qui est toutefois limité aux premières émissions. Plus récemment, injection de 123 millions sur trois ans, bien que cette aide ne se soit pas encore concrétisée.

C'est encore timide. Yves Rosconi aimerait que le gouvernement mette en place des avantages fiscaux qui incitent le capital de risque à miser davantage sur l'industrie. Pourquoi le gouvernement du Québec ne se sert-il pas, aussi, de ses achats de médicaments pour inciter les grandes pharmaceutiques à collaborer avec les biotechs du Québec? suggère-t-il.

Toutefois, l'industrie québécoise doit aussi faire son examen de conscience. Trop d'entreprises ne se soucient pas assez de commercialisation, pour aller chercher des revenus et autofinancer en partie leurs projets de recherches, qui deviennent des puits sans fond.

Chose certaine, si Québec veut vraiment retrouver la place qu'il s'était taillée de haute lutte dans cette industrie d'avenir, le temps n'est plus aux demi-mesures.