Louise vient d'avoir 9 ans. Pour son anniversaire il y a trois semaines, elle m'a demandé d'aller voir un match des Canadiens au Centre Bell.

Contre toute attente, j'ai trouvé une paire de billets pour la soirée du centenaire, vendredi. J'étais content pour Loulou, mais à part moi, je me disais que la soirée allait être longue, que la petite allait s'emmerder quelque chose de rare, et moi donc!

De La Presse, on y est allés à pied par Saint-Antoine. Devant le garage par où entrent les joueurs, deux douzaines de groupies faisaient le pied de grue. Faute de joueurs, quelques-uns se sont précipités sur Ron Fournier, qui venait d'arriver. La gamine voulait rester: on va peut-être voir des joueurs, grand-papa. Sa grande soeur lui avait donné son chandail du Canadien pour qu'elle le fasse signer. On est restés un peu. Soudain, les groupies se sont agités...

C'est qui? C'est qui?

Metropolit et Travis Moen!

Allez viens, Loulou, viens. Je ne le lui ai pas dit, mais dans toute ma vie, j'ai demandé cinq autographes. Un à Ali. Un à Carl Lewis. Un à El Guerouj. Un à Gebrésélassié. Et un à Indurain. Tu me vois demander un autographe à Metropolit après ça, chérie?

Je l'ai prise en photo devant le bronze de Maurice Richard et devant celui de Guy Lafleur. À la boutique, elle a voulu un chandail de Cammalleri, mais comme son grand-père est un peu cheap, elle n'en a pas eu. Elle a eu juste un t-shirt de Cammalleri.

Cent dollars pour un chandail, franchement! Presque autant pour un Coke et quelques frites. Les billets? Je ne sais pas. Ils m'ont été donnés. J'ai demandé au couple à côté de moi combien ils avaient payé les leurs: rien. On les leur avait donnés aussi. Finalement, je me demande si c'est pas ça le moins cher au Centre Bell: les billets.

Loulou a compté les rangées, on était dans la 14e en partant du bas, juste derrière les buts des visiteurs. Dans la rangée devant, il y avait deux gars avec des chandails des Bruins. À 3-0, ils ont commencé à se faire niaiser, mais c'est resté civilisé. Pas loin, sur la même rangée que nous, un anglophone imitait Gomez parlant français. Chaque fois que Gomez touchait à la rondelle, il se mettait à hurler: Je enkor peurdou la roundelle mais j'ai trrrrouvé seven millions, meurci beaucoup Montrial... Il a répété ça à peu près 50 fois. Les gens riaient. C'est pas gentil gentil, mais on s'entend qu'on est très loin des hooligans.

Le plus beau moment de la soirée, c'est quand Émile Bouchard est arrivé dans sa chaise roulante poussée par son fils Pierre. Même moi, qui suis très vieux, je ne l'ai pas vu jouer, l'Émile. Je le connais autrement. J'étais un habitué de son restaurant Chez Butch, sur De Maisonneuve derrière chez Dupuis. J'y ai connu sa femme Marie-Claire, parfaite hôtesse, aussi jasante que Butch était réservé. Les enfants ressemblent beaucoup à la maman. J'aimais ce couple-là, lui gardien d'un Québec déjà lointain, elle le tirant avec elle dans le présent, j'aimais les voir ensemble si désassortis et si unis pourtant. Pierre, que j'ai vu jouer junior puis avec le grand Canadien, avait la force et la gentillesse de son père, mais c'est par sa mère qu'il n'est pas devenu un Laraque.

J'ai finalement adoré cette soirée du centenaire que j'étais sûr de trouver sirop d'érable et crème fouettée. Nostalgie bien sûr, c'était la soirée pour ça. Les grandes époques du club évoquées par les hommes qui les ont marquées, pas besoin de fioritures; Scotty Bowman arrive sur la glace, tu pars ton cinéma, nostalgie bien sûr.

J'étais debout à applaudir comme un fou. Henri Richard, tiens. À l'époque, je voyageais assez souvent avec l'équipe, les joueurs ne n'aimaient pas beaucoup, allez savoir pourquoi. Henri m'avait pris sous son aile. Tu viens manger, le Françâ?

Quand Henri est arrivé sur la glace en petits souliers, Loulou vous dira que j'avais les larmes aux yeux, mais vous savez comment sont les enfants à cet âge, ils disent n'importe quoi. Je me suis levé aussi pour les Mahovlich, pour Guy Lafleur évidemment, pour Steve Shutt, pour Serge Savard, pour Réjean Houle, pour Robinson, Guy Lapointe, Gainey. Carbonneau est peut-être celui que j'ai applaudi le plus fort; Dieu que j'ai aimé ce garçon, sur la glace et plus encore en dehors. Je me suis même levé pour le renfrogné Claude Larose; si on m'avait dit qu'un jour j'applaudirais Claude Larose...

Le seul pour qui je suis resté assis, avec ostentation et mauvaise foi, c'est pour Patrick Roy.

J'attendais des joueurs qui ne sont pas venus, mais peut-être les ai-je manqués dans le trop long défilé. Dick Duff qui m'a montré à jouer à bullshit; Terry Harper la grande classe; Jim Roberts, paraît que je lui ressemblais; Gump Worsley qui, lui, avait une bonne raison de n'être pas à cette soirée: il est mort.

Savez depuis quand je n'avais pas assisté à un match du Canadien? Moi non plus, je ne le sais pas, ça fait trop longtemps. C'était à l'ancien Forum.

Je trouve la partie plus facile à suivre à la télé. On perd beaucoup du sens général du jeu sans l'assistance des caméras, qui ont de meilleurs yeux que nous. Des estrades, on est plus dans la réalité des batailles à un contre un, des affrontements particuliers. Ce qu'on voit mieux des estrades, c'est combien le hockey a changé au cours des 30 dernières années. Le niveau a monté, les joueurs sont plus gros, plus rapides, plus habiles, surtout les joueurs «moyens». Le spectacle n'y gagne pas forcément. Je vous expliquerai une autre fois.

Cammalleri et Price ont gagné le match, mais j'ai bien aimé aussi Gomez et Sergei Machin. C'était 5 à 1, restait quatre minutes à jouer, les estrades se vidaient. Tu viens, Loulou, on s'en va avant la cohue...

Elle a jamais voulu. On a quitté le Centre Bell dans les derniers.