Les banques chinoises ont prêté 1400 milliards en 2009 pour stimuler l'économie nationale. Mais Pékin s'inquiète de cette générosité débridée et s'écrie: «Assez!» En Europe et aux États-Unis, c'est l'inverse: on implore les banques de prêter davantage.

Si la Chine peut fièrement anticiper une croissance économique d'au moins 10% pour ce trimestre, le gouvernement commence paradoxalement à s'inquiéter de la santé de ses banques.

La semaine dernière, la Commission de régulation bancaire de Chine (CRBC) a sermonné le milieu bancaire, qui se montre trop généreux avec le crédit au point de mettre en péril leur solvabilité.

Ironiquement, les banquiers chinois se font taper sur les doigts pour avoir obéi aux ordres: obtempérant aux demandes de Pékin, qui souhaitait relancer l'investissement et la consommation au pire de la crise financière à la fin de 2008, les banques ont prêté au cours des sept premiers mois de 2009 plus d'argent qu'elles ne l'ont fait durant les années 2007 et 2008... combinées.

1400 milliards

Les établissements bancaires du pays ont débloqué 8900 milliards de yuans (1400 milliards CAN) de janvier à octobre. Un record. Mais cette stratégie est dangereuse.

La solvabilité des banques chinoises en ressort nettement affaiblie. Le rapport entre les fonds propres et l'actif - une mesure, clé de la santé du secteur bancaire - est tombé à 10 ou 11% contre un taux souhaité plus sécuritaire de 13%.

Les autorités s'inquiètent d'une hausse des mauvais prêts, qui accompagne une explosion du crédit. Ainsi, les banques chinoises pourraient avoir des ennuis au moindre choc économique. Pékin a donc sonné la fin de la récréation et vient de rehausser les critères de solvabilité des prêteurs, qui doivent être mieux capitalisés.

«Avec la hausse rapide attendue du crédit (...), les banques auront vraisemblablement besoin de capitaux», écrit la BNP Paribas dans une note financière.

Selon BNP, les 11 banques chinoises inscrites en Bourse pourraient récolter environ 50 milliards prochainement. Un tel scénario a secoué les Bourses chinoises, qui ont terminé en nette baisse lundi dernier.

D'abord parce qu'une levée de capitaux vient diluer l'actionnariat. Et surtout parce qu'en resserrant le crédit, l'État veut freiner la spéculation sur les marchés boursiers et immobiliers. Avec le crédit bon marché et abondant, des bulles spéculatives surgissent un peu partout en Asie.

Les autorités chinoises ne badinent pas: les banques qui n'améliorent pas leur solvabilité seront sanctionnées. Bref, c'est un virage à 180 degrés.

Pendant ce temps à l'Ouest...

Un regain du crédit aux consommateurs et aux entreprises est essentiel à la reprise. Les Chinois l'ont compris et ont réagi... peut-être trop. Mais, en Europe et aux États-Unis, on vit plutôt l'inverse.

La semaine dernière, la Commission européenne a carrément pressé les banques d'augmenter leurs prêts. «La capacité des banques à augmenter les crédits à l'économie réelle, alors que la reprise commence à prendre forme, est notre préoccupation principale», a déclaré Joaquin Almunia, commissaire européen aux Affaires économiques.

Le crédit à la consommation dans l'Union européenne n'a progressé que de 0,55% (taux annuel) au premier semestre contre 4,4% en 2008 et un taux annuel moyen de 6,5% de 2002 à 2007.

Et la grogne s'accroît. Les banques centrales ont allongé des centaines de milliards pour rétablir la stabilité sur les marchés financiers, alors que les banques, elles, demeurent drôlement chiches.

«Dans la zone euro, la croissance du crédit est équivalente à zéro», déplore M. Almunia, rappelant que 300 milliards d'euros (plus de 500 milliards CAN) ont été injectés pour recapitaliser le secteur bancaire.

Pas de crédit, pas de reprise

Plus à l'Ouest, les Américains font un constat similaire: leurs banques ne prêtent pas assez.

L'encours des prêts des banques américaines a même diminué de 7% au troisième trimestre, la plus forte décroissance en 25 ans, selon la Réserve fédérale. Des experts croient que les banques préfèrent faire des transactions financières, plus payantes et moins risquées, que de prêter aux Américains financièrement éprouvés.

«Il y a des gens qui ont des projets viables mais qui n'obtiennent pas de prêts. On ne peut soutenir la reprise sans un accès au crédit», a déclaré à l'agence CNN un analyste immobilier, Brian Olasov, frustré par l'inaction de Washington.

Clairement, la crise financière a tout déstabilisé. Les banques n'arrivent pas à concilier deux mandats importants: être financièrement responsables et prendre leur part de risques. C'est pourtant le yin et le yang de la relance économique. Et si nos banquiers refusent de pratiquer cet art délicat, c'est aux gouvernements d'utiliser leur poids pour rétablir l'équilibre.