Dans son dernier budget, l'ex-ministre des Finances Monique Jérôme-Forget a annoncé pour 2009-2010 un déficit budgétaire, le premier en 10 ans.

C'était en mars 2009. La pire crise économique depuis la Grande Dépression des années 30 frappait de plein fouet. Dans ces conditions difficiles, aucun gouvernement, fédéral ou provincial, ne pouvait éviter le déficit. D'autre part, pour plusieurs, ce retour aux déficits n'apparaissait pas vraiment inquiétant. La ministre ne promettait-elle pas un retour à l'équilibre dans quatre ans?

 

Or, cet objectif sera beaucoup plus difficile que prévu à atteindre. Les Québécois ne s'en doutent pas encore, mais ils s'apprêtent à vivre un véritable calvaire.

La prévision n'émane pas de n'importe où: elle provient d'une publication assez technique mais hautement intéressante lancée cette semaine à Québec, et qui trace un portait détaillé de l'économie québécoise en 2009.

Le passage le plus captivant (et le plus paniquant), à mon avis, est celui où Luc Godbout et Suzie Saint-Cerny s'intéressent au retour à l'équilibre budgétaire. Les auteurs parlent d'une «tâche ardue». L'expression est pudique. Page après page, tableau après tableau, ils montrent que les Québécois devront consentir des sacrifices dont ils soupçonnent à peine l'ampleur.

D'abord, un premier constat: il est rigoureusement impossible de maintenir le rythme de croissance des dépenses des 10 dernières années, soit 4,7% par année. À ce rythme, le Québec aurait accumulé des déficits de 36,4 milliards en cinq ans, dont 10,2 milliards pour la seule année 2014. Nous sommes ici à des années-lumière du déficit zéro. De toute façon, avec une dette publique qui dépasse les 214 milliards, le Québec ne peut simplement pas se permettre de tels déficits.

Mme Jérôme-Forget l'a bien compris. Dans son budget, elle annonce que la croissance des dépenses sera plafonnée à 3,2% par année. C'est bien, mais largement insuffisant pour éliminer le déficit. À ce rythme, le Québec accumulera 26,4 milliards de déficits en cinq ans, dont 6 milliards pour 2014. On est encore très loin de l'objectif, et pourtant, cette seule mesure risque de faire très mal. La santé et l'éducation absorbent ensemble 60% des dépenses du gouvernement, et elles augmentent plus rapidement que les autres dépenses. Pour maintenir le rythme de financement de la santé et de l'éducation, il faudra couper ailleurs. Et quelles frappes! Pour tous les autres postes de dépenses (sécurité publique, culture, voirie, justice, environnement, logement social, etc.), l'enveloppe budgétaire passera de 18,7 à 17,6 milliards. Si on tient compte de l'inflation, la chute est dramatique... et le déficit est toujours là.

L'ex-ministre a aussi prévu une hausse d'un point de pourcentage de la TVQ à compter du 1er janvier 2011. Malgré cela, le déficit persistera à 4,8 milliards en 2014.

Le budget prévoit aussi l'indexation des tarifs de certains services publics (sauf les garderies subventionnées), ce qui amènera des revenus additionnels de 6,5 milliards en quatre ans. C'est toujours insuffisant. Malgré toutes ces mesures, amputations dramatiques ailleurs qu'en santé et éducation, hausse de la taxe de vente, augmentation des tarifs, le Québec accumulera quand même 20 milliards en déficits d'ici quatre ans, dont 3,7 milliards en 2014.

Pour effacer ce trou, la ministre se contentait de promettre d'«autres mesures à identifier aux revenus et aux dépenses», sans préciser davantage. Ça ouvre la porte à toutes les hypothèses.

Les auteurs en avancent deux:

Le gouvernement peut sabrer davantage les dépenses. S'il veut toujours épargner la santé et l'éducation, il devra alors amputer dramatiquement le financement de tous ses autres ministères, qui passerait de 18,7 à 13,8 milliards. Ce n'est plus une cure minceur, c'est de l'anorexie.

Il pourrait aussi faire bondir la taxe de vente provinciale à 11,5%. Si on tient compte de la TPS fédérale, les Québécois devraient payer 17$ de taxe de vente chaque fois qu'ils dépensent 100$. Ouille, ouille!

C'est un cul-de-sac. Pour s'en sortir, Québec peut difficilement augmenter les impôts sur le revenu des particuliers, qui sont déjà abominablement surtaxés. Faire payer les compagnies? Facile à dire, beaucoup plus difficile à faire. Depuis 2001, aucune province canadienne (sauf le Québec) n'a augmenté l'impôt des sociétés. Reste la voie de la tarification, notamment dans le secteur de l'électricité.

Dans tous les cas, comme contribuables, comme usagers de services publics, comme consommateurs, comme employés de l'État, il n'y a pas à en sortir: ça va faire mal.

Et encore plus qu'on le pense: les projections des auteurs sont basées sur les documents budgétaires de mars 2009. Or, on sait aujourd'hui que le déficit de 3,9 milliards prévu pour l'exercice en cours sera largement défoncé. Ça commence bien...