Cela fait quatre ans qu'on parle du scandale Norbourg. Quatre ans que l'on épie les moindres faits et gestes de Vincent Lacroix, ce financier déchu qui s'est reconnu coupable d'avoir dérobé 115 millions de dollars.

On pourrait croire que tout a été dit, que tout a été écrit. C'est peut-être vrai. Mais dans la cacophonie des informations qui ont été diffusées depuis que les policiers de la GRC ont perquisitionné les bureaux de Norbourg, le 25 août 2005 au matin, il y a une grande histoire en pièces détachées. Une histoire qu'Yvon Laprade, journaliste de ruefrontenac.com, le site des lockoutés du Journal de Montréal, a patiemment recomposée.

Dans son Autopsie du scandale Norbourg, un livre éclairant qui vient de paraître chez Québec Amérique, Yvon Laprade remonte aux origines de cette escroquerie qui a dépouillé 9200 petits investisseurs. Ce faisant, il braque les projecteurs sur un acteur négligé de Norbourg. Il s'agit d'Éric Asselin, l'ancien bras droit de Vincent Lacroix. Ce personnage en arrière plan, du fait qu'il a échappé à tout procès, n'a pourtant rien de secondaire.

D'ailleurs, sa photo aurait aussi dû figurer sur la couverture même si l'éditeur a préféré le regard insondable de Vincent Lacroix, pour des raisons de marketing évidentes. Car des deux hommes, ce comptable et enquêteur devenu collaborateur de Lacroix devenu délateur est, à mon sens, le plus rusé. C'est lui qui a réussi à manipuler le manipulateur.

Qu'on se comprenne bien. Je ne suis pas en train d'accréditer la thèse de Vincent Lacroix, qui a cherché à se disculper en rejetant tout le blâme sur Éric Asselin. Du début à la fin, c'est Vincent Lacroix qui a tout ourdi.

Mais, comme le décrit Yvon Laprade, Vincent Lacroix est un financier d'une intelligence moyenne. Un ti-cul qui voit grand. Il se lance en affaires en 1998 et passe à un cheveu de la faillite, à la suite du krach des technos. Pour camoufler ses pertes, il pige dans les comptes de ses clients au moyen d'un stratagème assez grossier, quoiqu'en dise l'Autorité des marchés financiers (AMF).

Comme un parieur, Vincent Lacroix a l'espoir de se refaire et de tout corriger, ni vu ni connu. Mais il ne se fait pas pincer. Aussi la tentation est-elle irrésistible de recommencer, encore et encore, pour mener grand train. Un engrenage infernal dont il ne sortira qu'avec les menottes aux poignets.

En comparaison Éric Asselin est un comptable et vérificateur talentueux. Ce CGA et planificateur financier est aussi diplômé dans l'investigation des fraudes. Il a même étudié pour obtenir le titre de Certified Fraud Examiner. Mais de sa condition modeste d'inspecteur et d'enquêteur à l'AMF, il ne fait qu'entrevoir la vie luxueuse qu'il pourrait mener dans l'industrie, de l'autre côté de la clôture.

C'est donc en toute connaissance de cause qu'il passe chez Norbourg, après avoir enquêté sur une firme que Vincent Lacroix cherchait à acquérir. Dès le départ, Éric Asselin a touché une prime d'embauche de 120 000$ sous la forme d'un chèque personnel, prime qui «a toutes les apparences d'un pot de vin», écrit Yvon Laprade.

Avec son expertise, Éric Asselin mystifiera les inspecteurs et les enquêteurs de l'AMF. Tout comme cet ancien vérificateur au ministère du Revenu du Québec aidera Vincent Lacroix à faire une divulgation volontaire auprès du fisc.

Bien difficile de croire que cet expert n'a pas détecté en trois ans les manipulations de Vincent Lacroix, alors que son successeur aux finances ne mettra que quelques mois avant de découvrir le pot aux roses.

Mais Éric Asselin est un fin renard. Sentant la soupe chaude, il quitte le navire en février 2005 pour se consacrer entièrement, dit-il, à sa firme de consultation. L'explication convainc Lacroix. Et alors qu'il se fait verser de riches honoraires par Norbourg, il devient délateur de la GRC en échange d'une immunité judiciaire.

À l'automne, alors que l'étau se resserre sur les collaborateurs de Norbourg, Éric Asselin décide d'entreposer chez lui la fortune qu'il a amassée. De jour comme de nuit, il se rend à la banque et au guichet automatique pour vider ses comptes. Il dissimulera près de 900 000 dollars en billets de banque dans le sous-sol de sa maison de Beauport, écrit Yvon Laprade. Éric Asselin emploiera ainsi toutes sortes de manoeuvres pour esquiver ses créanciers.

Alors que toute la colère est dirigée sur Vincent Lacroix, écrit Yvon Laprade, «certains commencent à se demander s'il n'aurait pas fallu mettre Éric Asselin en taule lui aussi...»

Le syndic au dossier Norbourg, Gilles Robillard, de la firme RSM Richter, a confié au journaliste que, sans l'expertise d'Asselin, Vincent Lacroix se serait fait pincer bien avant. «Les deux ont tiré bénéfice des gestes qu'ils ont posés... Asselin a toutefois profité du système pour ne pas subir le même sort que Lacroix. Pour cette raison, Asselin aurait dû faire face aux mêmes accusations.»

Mais consciemment ou pas, la GRC a pactisé avec le diable. Or, la délation est une association douteuse qui, tout en soulevant des questions morales, ne donne pas toujours des résultats heureux.

L'un des cas les plus célèbres est celui d'Yves «Apache» Trudeau. Ce membre fondateur des Hell's au Québec avait 43 assassinats à son actif lorsqu'il a décidé de collaborer avec les policiers, en 1985. Ses accusations ont été réduites à des chefs d'homicide involontaire. Ce gangster a même reçu une promesse de libération conditionnelle hâtive. Or, seulement trois des 14 Hell's Angels contre qui il a témoigné ont hérité de la prison à vie.

La GRC a-t-elle des regrets? Si c'était le cas, elle serait loin d'être la seule dans ce dossier marqué par les égarements.