Si l'ensemble de vos courriels des dix dernières années étaient rendus publics, il y a de fortes chances que vous ayez envie de vous cacher la tête sous le tapis. C'est ce qu'ont vécu une poignée de scientifiques, la semaine dernière, alors qu'un pirate informatique a publié sur le web le contenu des serveurs de l'unité de recherche climatique de l'Université d'East Anglia, en Grande-Bretagne.

Il s'agit de centaines d'échanges confidentiels, dont la plupart sont d'un ennui mortel. Onze d'entre eux concernent des invitations à prendre une bière, onze autres, des rendez-vous pour le lunch...

Mais il y en a quelques-uns, plus controversés, qui font bien mal paraître leurs auteurs. En les parcourant, on peut en effet conclure à une manipulation de données et à une destruction de statistiques contredisant la thèse du réchauffement planétaire, d'où l'expression de «Climategate».

«Je viens d'appliquer l'astuce utilisée par Mike dans la revue Nature (...) pour masquer le déclin (des températures)», peut-on lire. «Le fait est que nous ne sommes pas en mesure d'expliquer l'absence actuelle de réchauffement», écrit-on. «Peux-tu effacer tous les courriels que tu as échangés avec Keith au sujet (du 4e rapport du GIEC)?», ajoute un autre.

Cela a ravivé la ferveur des sceptiques du climat, sur le web surtout, mais aussi en politique. Des élus conservateurs et républicains, connus pour leur haine proverbiale des climatologues, ont exigé une enquête publique.

Y a-t-il là matière à s'interroger sur la rigueur de certains scientifiques? Certainement. Y a-t-il matière à faire table rase des études passées sur le climat? Certainement pas.

Ce que les courriels nous révèlent, ce n'est pas du tout l'existence d'une vaste supercherie ni d'une magouille, mais plutôt qu'une poignée de scientifiques a choisi de descendre dans la rue pour se battre avec ceux, qualifiés d'«idiots» dans un courriel, qui mettent en doute leur crédibilité.

S'il était démontré que cette pugnacité avait eu un impact sur la rigueur de ces experts, cela mériterait certainement quelques démissions et une enquête approfondie. Mais les courriels en cause pointent, tout au plus, vers une destruction ponctuelle de données scientifiques dans le contexte d'une demande d'accès à l'information.

Cela est grave et devrait inciter l'auteur du courriel en question, le grand patron de l'unité de recherche Phil Jones, à réfléchir à son avenir, ou du moins à s'expliquer publiquement. Or pour l'instant, il s'est contenté de qualifier le tout de «rubbish», de balivernes.

Par contre, ne jetons pas le bébé avec l'eau du bain : la crédibilité de décennies de recherches menées par des milliers de scientifiques n'est tout de même pas remise en question par quelques courriels rédigés par une poignée de climatologues.

Le consensus scientifique est clair. D'abord, la concentration de gaz carbonique dans l'atmosphère dépasse actuellement 385 parties par million, un taux qui excède largement celui des 650 000 dernières années. Ensuite, la température de la Terre a crû de 0,74 °C depuis un siècle.

Devant de telles données, les quelque 500 scientifiques du Groupe intergouvernemental d'experts du climat (GIEC) sont arrivés à la conclusion, entérinée à l'unanimité, que la quasi-totalité de la hausse de température observée dans la seconde moitié du XXe siècle est «très probablement» imputable à l'action humaine, un jargon qui signifie une probabilité supérieure à 90 %.

Le scepticisme est toujours de bon aloi, mais il doit s'appuyer sur de solides données pour briser un consensus aussi largement répandu. Ces courriels n'en sont pas.

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Les citations expliquées

«Je viens d'appliquer l'astuce utilisée par Mike dans la revue Nature (...) pour masquer le déclin»

Ce courriel du directeur de l'unité de recherche climatique, Phil Jones, fait référence à une étude publiée par le météorologue Michael Mann dans Nature, en 1998. Celui-ci y causait d'une «divergence» entre les données climatiques et les mesures prises sur les cernes d'arbres. L'«astuce» est simplement une façon de mettre en contexte cet écart en y ajoutant les données réelles de température, ce qui a pour effet de «masquer» le déclin des températures après 1960, un fait reconnu par la communauté scientifique.

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«Le fait est que nous ne sommes pas en mesure d'expliquer l'absence de réchauffement actuellement. (...) Les données sont certainement fausses. Notre système d'observation est déficient.»

Rédigée par le climatologue Kevin E. Trenberth, cette phrase doit être lue avec le reste du courriel. Le Dr Trenberth y soutient en effet que le réchauffement se poursuit, malgré des variations de température tout à fait habituelles. Il ajoute cependant que les scientifiques sont incapables de mesurer adéquatement l'effet du rayonnement au sommet de l'atmosphère, ce qui les empêche d'en tirer des conclusions valables.

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«Peux-tu effacer tous les courriels que tu as échangés avec Keith au sujet (du 4e rapport du GIEC)? Keith fera pareil.»

Cet extrait d'un courriel intitulé «IPCC & FOI» est le plus troublant de tous, car FOI signifie Freedom of Information Act. On comprend donc que le directeur de l'unité de recherche climatique d'East Anglia, Phil Jones, demande à son confrère américain Michael Mann d'effacer des courriels en lien avec une demande faite sous la loi d'accès à l'information. M. Jones ne s'est pas encore expliqué à ce sujet, tandis que le Dr Mann a simplement indiqué n'avoir jamais effacé de données.

Photo: archives AFP

La température de la Terre a crû de 0,74 °C depuis un siècle.