Madame V., retraitée de 65 ans, a déposé auprès de l'Autorité des marchés financiers (AMF) une plainte contre son conseiller en placement et ce, dans le but d'obtenir un dédommagement pour couvrir les lourdes pertes de quelque 50 000$ subies avec les fonds recommandés. Le capital détenu dans son REER et son FRV (fonds de revenu viager) a ainsi fondu de 25% depuis janvier 2008.

Quelles sont les chances de Madame V., néophyte du placement, d'obtenir gain de cause contre le conseiller et sa firme de services financiers multiples (vente de fonds communs, courtage en assurances de personnes, planification financière, etc.)?

J'espère me tromper, mais à mon avis, elles sont quasi nulles.

Pourquoi? Aussi étonnant que cela puisse paraître, il n'existe actuellement dans l'industrie des services financiers aucune définition commune des divers niveaux de risque liés aux multiples produits financiers. Chaque intervenant (l'AMF, les planificateurs financiers, les courtiers en valeurs mobilières, l'industrie des fonds communs de placement, etc.) a sa propre interprétation des niveaux de risque. Conséquemment, les investisseurs se font malheureusement refiler des placements à risque nettement plus élevé que leur vraie tolérance aux risques.

C'est ce qui est arrivé à Madame V. Bien entendu, lorsque les marchés boursiers montent, l'investisseur est heureux de constater qu'il fait de l'argent, du moins sur papier. Mais lorsque les marchés boursiers connaissent de douloureuses déconfitures, comme ce fut le cas en 2008 et lors du premier trimestre de 2009, tous les placements liés à la Bourse viennent vous bousiller le portefeuille en peu de temps. Et dès lors, il est trop tard pour corriger le tir... et le conseiller financier se défendra bec et ongle contre la moindre allusion à ses recommandations risquées!

Quel document le conseiller financier utilisera-t-il pour se protéger contre vous en cas de plainte? Il fera comme le conseiller financier de Madame V. et il brandira sous votre nez le formulaire qu'il vous a fait remplir lors de l'ouverture du compte, soit celui où vous lui transmettez notamment des renseignements sur votre degré de tolérance au risque et sur vos objectifs de placement.

Plus vous vous vantez d'avoir de la tolérance aux risques, plus vous minimisez vos chances de dédommagement en cas de lourdes pertes.

Et gare à vous, notamment du côté des portefeuilles de fonds communs de placement! Pourquoi? Parce que les firmes de gestion des fonds communs de placement incluent dans le «risque modéré» la plupart des fonds d'actions canadiennes, des fonds d'actions américaines et même les fonds d'actions mondiales. À leurs yeux, seuls les fonds sectoriels d'actions, comme ceux de la haute technologie et les fonds de marché émergent... atteignent le niveau de risque de «modéré à élevé».

Revenons donc à Madame V. Sur la fiche de renseignements que son conseiller a lui-même remplie, mais tout de même signée par elle, madame se retrouve avec le profil d'investisseur suivant:

> Objectif d'investissement

Planification de la retraite, avec croissance

> Tolérance de risque

Moyenne

> Volatilité

Modérée

Pour «répondre» à ce profil, son conseiller lui a fait investir 70% de son capital dans des fonds d'actions canadiennes et étrangères. Les 30% restants ont été investis dans des fonds équilibrés.

Selon moi, seuls les fonds équilibrés répondent ici au profil d'investissement autorisé par madame et à son degré de tolérance au risque, dite «moyenne». La composition d'un portefeuille de fonds équilibrés renferme habituellement une portion en valeurs sécuritaires (marché monétaire et obligations à court terme); une portion en titres dits de revenu fixe (obligations négociables, actions privilégiées, etc.); une portion en actions de solides entreprises cotées en Bourse.

Je ne comprends absolument pas que l'on puisse qualifié de risque «modéré» les fonds d'actions de presque tout acabit. J'aimerais ici rappeler aux bonzes de l'industrie des fonds communs de placement (un volume d'affaires de 600 milliards) et aux dirigeants de l'AMF et de son organisme chargé de surveiller les conseillers financiers, soit la Chambre de la sécurité financière, que les grands indices boursiers (TSX, S&P 500, Dow Jones, Nikkei, Nasdaq, indices européens, etc.) ont chuté de 50 à 60% à deux reprises depuis le début des années 2000.

Qualifier les fonds d'actions de risque «modéré» quand la Bourse swingue à la baisse de 60%, cela me semble totalement irréfléchi.

Mais ça protège admirablement bien les conseillers contre les plaintes des épargnants qui subissent des lourdes pertes avec leurs fonds d'actions.