L'on peut comprendre l'exaspération de Konrad von Finckenstein, président du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC). Exaspération qui a rejailli lundi, lors du début de ces audiences capitales sur le partage des revenus dans l'industrie de la télé.

Le CRTC est pris dans le rôle ingrat du surveillant de cour d'école qui doit départager les antagonistes. Au centre de la cour se trouve un immense plat de friandises. D'un côté, des élèves affamés. De l'autre, des enfants repus mais qui sont complètement accros au sucre. Et pas très loin, des parents qui pensent que les enfants ont bien assez de bonbons à se partager, aussi est-il hors de question de leur en acheter plus.

Résumé à sa plus simple expression, ce conflit commercial oppose les fournisseurs de télévision, par câble ou par satellite, les chaînes télé généralistes et les télédiffuseurs spécialisés, dont les intérêts sont diamétralement opposés.

Konrad von Finckenstein aura beau hausser le ton et y aller de quelques remarques acérées dont il a le secret, bref déchirer sa chemise, il ne convaincra pas les parties à s'entendre sur un partage équitable des revenus.

L'industrie a depuis longtemps passé le stade du compromis, alors que le CRTC se penche sur cette question pour la troisième fois en trois ans. Avec les campagnes publicitaires négatives diffusées depuis l'été et les déclarations à la limite de la démagogie entendues depuis le début de la semaine à Gatineau (câblos et pétrolières, même exploitation?), le CRTC n'aura d'autre choix que de trancher.

En fait, le CRTC est un peu l'artisan de son malheur. Il existe véritablement une injustice entre les chaînes télé spécialisées, qui profitent de redevances, et les chaînes généralistes, qui ne reçoivent que dalle en échange de leur signal. Que le CRTC n'en ait pas déjà convenu, en débit des difficultés évidentes des télés généralistes dont celles de TQS, alias V, est un peu déconcertant.

Les redevances ont été mises en place au cours des années 80 pour favoriser l'éclosion des chaînes spécialisées à qui l'on accordait, de surcroît, un monopole dans leurs champs de spécialisation. Mais ces chaînes spécialisées n'ont plus besoin de pareil coup de pouce, du moins d'une aide aussi généreuse. Les chaînes spécialisées comme RDS sont devenues des planches à imprimer des billets. C'est particulièrement vrai des chaînes qui, comme Série Plus, rediffusent des vieilleries sans investir grand-chose dans des productions originales.

Pour la première fois en 2008, les revenus des chaînes spécialisées ont surpassé ceux des télédiffuseurs généralistes du privé. Ils se sont élevés à 2,32 milliards, comparativement à 2,14 milliards de dollars pour ces généralistes, selon Statistique Canada.

Après des années de recul, la marge bénéficiaire des chaînes généralistes avant le paiement des impôts et des intérêts est tombée à 0,2% en 2008. En simple, c'est la misère. En comparaison, la marge bénéficiaire d'exploitation des chaînes spécialisées s'est élevée à 23% l'an dernier, toujours selon Statistique Canada.

De deux choses l'une. Ou bien les chaînes spécialisées n'ont plus besoin de redevances, une aide de démarrage. Dans ce cas, le CRTC n'aurait plus qu'à les couper, tout simplement. Ou bien il faut que ces redevances soient réduites et partagées plus équitablement avec les chaînes généralistes.

Car le consommateur, lui, ne peut pas payer plus. Déjà que sa facture a augmenté beaucoup plus rapidement que l'inflation au cours des dernières années, sans qu'il ne dispose d'une plus grande flexibilité pour choisir les forfaits et les chaînes qui l'intéressent!

Si les consommateurs doivent payer des redevances sur la télé qu'ils regardent, par l'entremise de leur facture de câble ou de télé par satellite - et c'est un gros si -, il faut à tout le moins que cette aide serve des objectifs publics et communs.

Bref, il faut redistribuer l'enveloppe des redevances autrement, sans égard au fait qu'il s'agisse de télédiffuseurs spécialisés ou généralistes. Cette distinction n'a plus sa raison d'être.

En audience, hier, Pierre Karl Péladeau, grand patron de Quebecor Media, qui milite pour le paiement de redevances aux télés généralistes (mais pas pour Radio-Canada, l'ennemi juré de TVA qui profite d'un financement de l'État), a évoqué hier quatre critères qui devraient décider de qui reçoit quoi. Au nombre de ceux-ci, il a identifié les cotes d'écoute.

Mais la publicité encourage déjà les émissions les plus populaires. Les redevances devraient plutôt servir à financer l'information et les productions qui font travailler les artisans d'ici, dont les séries lourdes qu'affectionnent les téléspectateurs. Dans ces deux types d'émissions, les coûts prohibitifs menacent autant la quantité que la qualité de la production.

C'est ce type de compromis que devra imposer le CRTC lorsqu'il rendra sa décision sur le partage des revenus dans l'industrie de la télé, l'hiver prochain. (Et à moins de conserver le statu quo, il faudra accorder une période de transition aux entreprises touchées, pour que celles-ci puissent s'ajuster.)

Après plusieurs années de débats, il est grand temps que le CRTC dépoussière les règles du jeu dans l'industrie de la télé. Le Conseil ne peut se rentrer la tête dans le sable et espérer que le problème se règle de lui-même, par un accord à l'amiable entre des entreprises qui sont complètement polarisées. Ce serait rêver en Technicolor.

sophie.cousineau@lapresse.ca