On a parlé de Berlin toute la semaine dans les médias. D'après des gens que je connais qui y étaient, Jonathan - qui y a été guide touristique - et Claire, cette dame dont je vous ai parlé dans mes papiers, d'après eux, c'était très bien, ces festivités du 20e anniversaire de la chute du mur. Avec un moment de grande émotion quand Mme Merkel a traversé avec la foule au pont Böse du S-Bahn Bornholmer Strasse.

Très bien, mais pas si youpilaye que ça. La faute à la pluie, sans doute, et à la police, un peu trop présente. Finalement, c'était mieux en 2006, à la Coupe du monde de soccer.

J'aimerais être à Berlin, aujourd'hui que tout est fini. Je ne suis ni anniversaire, ni réjouissances populaires. Par contre, je suis très jeudi après-midi du mois de novembre quand le souvenir tombe avec la pluie et que cela ne dépend pas d'une date au calendrier, d'une fête, ou même de moi, d'en être imbibé.

C'était à la terrasse d'un café de la Kollwitzplatz, je venais d'acheter le Nouvel Obs, j'y lisais un article sur Pavese. Avec le garçon, vaguement italien, on cherchait un mot en italien. Pollo? En tout cas, chicken, c'est pollo. Il m'ostinait : non, pas le pollo, la mamma du pollo... Comment on dit, déjà?

Pour revenir à Pavese, on y parlait de son adhésion au Parti communiste. J'ai pris une note dans mon carnet - c'est elle que je viens de retrouver. Pavese. Communiste.

Pourquoi? Parce que Mussolini. Parce que poète et fasciste, ça marche pas. Poète et communiste, ça marchait mieux? Ça dépend. Poète communiste dans un pays qui ne l'était pas, ça marchait très bien : Aragon, Éluard, Lorca, tous ceux-là. Mais poète en Union soviétique, en Bulgarie, en Pologne, en Allemagne de l'Est, c'était pas possible.

Les poètes, les dissidents, les intellectuels, les artistes, menacés, étouffés, envoyés dans les camps, en voulaient beaucoup à Aragon, à Éluard. Pas à Lorca, qui avait été fusillé, mais à Sartre, à Beauvoir ; plus tard à Sollers le maoïste, à Edgar Morin. Ils ne comprenaient pas : des gens si intelligents. Comment avaient-ils pu être reçus à Moscou, à Pékin, en Allemagne de l'Est et ne rien voir? Comment avaient-ils pu être si inconsciemment, si confortablement communistes?

C'est la question. Pourquoi, comment des gens intelligents - plutôt moins putes que la moyenne -, se réclamant de la rigueur intellectuelle, pourquoi, comment un tel aveuglement?

J'étais allé une fois en Allemagne de l'Est, à l'invitation du ministère des Sports de la RDA, juste avant les Jeux de Munich. En avaient résulté des papiers enthousiastes. Méthodes et centres d'entraînement incroyables, systématisation du dépistage, quelle formidable nation sportive! Alors que, fuck le sport, j'avais sous les yeux l'effondrement - déjà en 1972, mais oui - d'une idéologie. Tout me le hurlait, les rues désertes, les habits des gens, leur regard ou plutôt leur absence de regard, la goulash informe du resto, le mobilier caca-d'oie de l'hôtel, les vendeuses irritées au magasin d'État parce que j'avais osé les presser.

Pourquoi, comment l'aveuglement? Et aujourd'hui, 20 ans après la chute du mur de Berlin et du socialisme, qui?

Je lisais l'autre jour (dans Le Dictionnaire de la bêtise) ce que disaient des juifs LaBoétie, Martin Luther, Bossuet. Plus près de nous Céline, Maurras et avec lui la droite pétainiste des années 40, et Hitler bien sûr (tiens, nous revoilà à Berlin). Heureusement, on ne pourrait plus proférer de telles infamies aujourd'hui. Ou je me trompe? Ne dit-on pas, maintenant, à peu près la même chose des musulmans?

De quelle certitude économique, politique, morale dira-ton dans 20 ans, comme on l'a dit du communisme : non, mais quelle merdique connerie! Et qu'il était grand notre aveuglement!

Le garçon m'a apporté mon dessert tout sourire. Gallina!

Quoi, gallina?

La mamma du chicken, la poule, la gallina.

Sans tête : senza testa.

CAROLINE LA PAS FINE - Cinq athlètes ont fait leur entrée cette semaine au Panthéon des sports du Québec, le seul panthéon au monde où on peut aller à pied ou en métro, de son vivant. Où tu vas?

Je vais au Panthéon.

Oublie pas de changer à Jean-Talon.

Anyway, les cinq étaient Mad Dog Vachon (lutte olympique et professionnelle), Mélanie Turgeon (ski alpin), Nicolas Fontaine (ski acrobatique), Claude Mouton (boulingrin) et Caroline Brunet (kayak).

On les a tous vus à la télé, sauf M. Mouton, qui est mort, et Caroline Brunet, qui n'était pas là parce que, nous a dit le reporter de Radio-Canada (qui citait M. Edgar Théorêt, le cofondateur du Panthéon), Caroline Brunet trouvait qu'elle ne méritait pas un tel honneur.

Pardon?

Après cinq Jeux olympiques, argent à Atlanta et Sydney, bronze à Athènes, Caroline ne sait pas qu'elle est une des plus grandes figures du sport québécois des 20 dernières années?

Je l'ai appelée. Comme ça, Caroline, vous êtes trop nulle pour entrer au Panthéon des sports du Québec?

Je n'ai jamais dit que je ne méritais pas un tel honneur. Je pense au contraire le mériter pleinement. Je l'ai accepté sans arrière-pensée, en précisant cependant que «des raisons personnelles» m'empêcheraient d'assister à la cérémonie.

Je la connais assez pour deviner que ces raisons personnelles ont à voir avec le fait que les cérémonies, ce n'est vraiment pas son truc ; avec le fait aussi qu'elle n'a jamais couru après les honneurs ni après la reconnaissance médiatique. Je ne vois pas que ce soit là des défauts. Au contraire. Dans mon panthéon à moi, en supposant que j'aurais l'idée sotte et grenue d'en ouvrir un, elle serait bien au chaud à côté du poêle.