Les Allemands fêtent le 20e anniversaire de la chute du mur de Berlin, et ces célébrations reçoivent une énorme attention médiatique. Il y a de quoi: la chute du mur demeure le symbole le plus puissant de l'effondrement de l'empire soviétique. De fait, moins d'un an plus tard, les deux Allemagnes, séparées par le rideau de fer pendant 40 ans, allaient de nouveau être réunies.

En 1989, tous les espoirs étaient permis. L'Allemagne de l'Ouest formait déjà une puissance économique, commerciale et financière de premier plan. L'Allemagne de l'Est apparaissait aux yeux des économistes occidentaux comme le plus avancé des pays communistes. À l'époque, on ne pouvait qu'imaginer quel géant sortirait de cette réunification.

Mais les choses ne se sont pas passées comme prévu.

Certes, 20 ans plus tard, l'Allemagne demeure un acteur économique de première importance. Mais à l'intérieur même de l'Allemagne, il existe toujours un fossé entre l'Ouest et l'Est. D'abord, la crevasse démographique: depuis la réunification, Berlin-Est et les cinq États qui correspondent à l'ancienne Allemagne de l'Est, la très mal nommée République démocratique, ont perdu 12% de leur population, principalement au profit de l'Allemagne de l'Ouest. C'est une véritable saignée.

Pourtant, le régime de terreur établi par la redoutable Stasi est bel et bien disparu, et les Allemands de l'Est jouissent depuis deux décennies des mêmes droits démocratiques que leurs frères de l'Ouest. Ils n'auraient donc, en principe, plus aucune raison de fuir un régime qui n'est plus qu'un mauvais souvenir.

L'exode s'explique essentiellement par les conditions économiques beaucoup plus difficiles à l'Est.

Pourtant, la riche Allemagne de l'Ouest n'a pas ménagé les efforts pour aider les États pauvres de l'Est. En 20 ans, au rythme moyen de 150 milliards pas année (tous les montants, dans cette chronique, sont exprimés en dollars américains), pas moins de 3000 milliards de dollars ont été transférés à l'Est pour améliorer les infrastructures, construire des logements décents, moderniser les installations industrielles, soutenir le commerce, relancer le système bancaire. Et il est prévu que l'aide se poursuivra jusqu'en 2019.

Malgré cette avalanche, l'économie de l'ex-Allemagne de l'Est continue de traîner la patte.

En 2008, le produit intérieur brut (PIB) par habitant se situait à 44 900$ dans l'ensemble de l'Allemagne. Or, ce montant n'atteignait que 32 400$ à l'Est, comparativement à 47 600$ à l'Ouest. L'écart est considérable.

Disparités régionales

Il existe aussi d'importantes disparités régionales. Ainsi, en Mecklembourg-Poméranie, le plus pauvre des États allemands (situé comme de raison en ex-Allemagne de l'Est), le PIB par habitant n'atteint que 29 900$, comparativement à 78 900$ à Hambourg, le plus riche des États allemands. À l'intérieur du même pays! Ici, on ne parle plus de fossé, mais d'abîme.

Même chose pour le taux de chômage: 6,2% à l'Ouest, 12,7% à l'Est.

Pourquoi de tels écarts subsistent-ils, 20 ans après la chute du mur?

En 1989, l'Allemagne de l'Est était loin d'être aussi avancée que ne le croyaient les Occidentaux. Cette méprise découle surtout des comptes nationaux tordus des pays communistes. L'Allemagne de l'Est ne mesurait pas la taille de son économie en calculant le PIB, mais en utilisant un autre outil, le produit matériel net (PMN), lui-même dérivé du produit social global (PSG). Ces méthodes absconses avaient entre autres pour effet détestable de comptabiliser certaines productions en double, voire en triple.

En outre, le mark est-allemand n'était pas convertible, c'est-à-dire qu'il n'avait aucune valeur en dehors de ses frontières. Les économistes occidentaux de-vaient s'arracher les cheveux pour tenter de convertir le PMN en PIB au meilleur de leur connaissance, tâche d'autant plus périlleuse qu'ils n'avaient aucune idée de la valeur réelle du mark est-allemand.

Finalement, tous, y compris les spécialistes ouest-allemands, se sont fait royalement avoir. Comme les performances étonnantes de ses athlètes olympiques, la supposée puissance économique de la République «démocratique» ne reposait que sur du vent et des mensonges. Lors de la réunification, la Bundesbank (l'équivalent allemand de la Banque du Canada) a échangé le mark est-allemand sur une base de parité avec le mark ouest-allemand. On s'est aperçu plus tard que le mark est-allemand valait à peine 10% de sa contrepartie de l'Ouest.

Dans ces conditions, on comprend que les grands espoirs de 1989 se soient vite transformés en désillusions. On s'est vite aperçu qu'il faudra beaucoup plus de temps que prévu pour sortir l'Est du trou.