L'Histoire s'écrit à partir des grandes, mais aussi des petites choses. Ainsi en est-il de la chute du mur de Berlin, qui s'est écroulé il y a exactement 20 ans, dans la nuit du 9 au 10 novembre 1989.

Il a été ébranlé par une grande idée, d'abord, intangible et intemporelle, celle de la liberté. Pas nécessairement celle avec une majuscule, dont on parle avec des trémolos dans la voix. Non. La liberté dans ses habits de tous les jours. Celle qui donne le droit de se rendre trois pâtés de maisons plus loin. Ou de pouvoir acheter, là, tout de suite, du dentifrice ou un foulard en soie, une revue olé olé ou la Critique de la raison pure (format poche), au choix du client. Dans Goodbye Lenin!, l'admirable film de Wolfgang Becker, la liberté se présente dans Berlin-Est sous la forme d'une pub de Coca-Cola.

 

C'est ridicule, bien sûr. Et pourtant...

L'idée est exprimée dans toute sa grandeur et toute sa simplicité par le président Ronald Reagan lorsqu'il s'écrie, le 12 juin 1987: «Monsieur Gorbatchev, abattez ce mur!» (Rapetissent cet épisode, aujourd'hui, les révisionnistes qui ne comprennent pas la puissance des mots en certaines circonstances.)

La fin du mur est venue, ensuite, d'un déprimant constat que chacun fait dans toute l'Europe de l'Est: l'économie ne marche pas. En fait, il y a des années qu'elle ne fonctionne plus. À la fin des années 80, elle est dans un état lamentable. Et on sait qu'elle fonctionnera encore moins, demain.

Ce constat habite le leader soviétique, Mikhaïl Gorbatchev. Il sait pour l'économie; pour la désillusion des masses laborieuses; pour le désastre afghan, ce Vietnam soviétique; pour le complexe militaro-industriel qui, désargenté et structurellement incapable de prendre le virage informatique, devient un ours décharné, dégriffé, édenté. Il sait aussi que les réformes qu'il a pilotées sont foutues - trop peu, trop tard.

Au moment où le rideau de fer se déchire un peu partout dans l'empire, en Pologne, en Hongrie, en Tchécoslovaquie, Gorbatchev dira aux leaders des nations vassales, en particulier à ceux de la République démocratique allemande: quoi qu'il arrive, l'URSS n'enverra pas ses chars...

C'est alors que se produisent des milliers de ces petites choses qui comptent tout autant.

Les plus belles?

Peut-être les bras croisés des militaires est-allemands, le soir du 9 novembre. Leurs armes au repos lorsque les premiers Berlinois de l'Est franchissent le mur, libres, riant et pleurant à la fois, les saluant poliment au passage! Ils n'avaient pas reçu d'ordres, n'avaient été prévenus de rien. Ils auraient pu faire feu et ça aurait été le bain de sang. Mais ils n'ont pas tiré...

À leur humble manière, eux aussi ont fait l'Histoire dans la nuit du 9 novembre.