Ça commence très mal. La plus grande campagne de vaccination dans l'histoire du Canada et du Québec est partie toute croche. Assez pour donner la très nette impression que les autorités sanitaires ne sont pas en contrôle.

On peut bien comprendre que tout n'aille pas sur des roulettes, en raison de la complexité de la campagne de vaccination, des inconnues qui entourent cette pandémie. Mais quand même, ça fait six mois que l'on se préparait à cette deuxième vague. Il y a donc des cafouillages qui sont inexplicables.

Le raté le plus important, potentiellement le plus dramatique, c'est que le vaccin est arrivé tard, tandis que la grippe a frappé plus tôt que prévu. Résultat, il est tout à fait possible que les vaccins soient disponibles pour le grand public après que la pandémie ait déjà atteint son sommet, et donc qu'ils arrivent trop tard pour des millions de Québécois.

Faites le calcul. Pour les gens qui ne sont pas à risque, la vaccination commencera la semaine du 6 décembre. Il y aura alors des millions de gens à vacciner. Il faut en outre compter 10 jours pour que le vaccin puisse immuniser la personne. Le gros des familles seront protégées autour de Noël, dans deux mois, quand la grippe aura déjà commencé à frapper.

Il est vrai que tous les pays étaient engagés dans une course contre la montre. Mais comparé à d'autres pays, le Canada est en retard. Et comparé à d'autres provinces, le Québec est en retard. Pourquoi?

À cela s'ajoute le grave échec des autorités sanitaires qui n'ont manifestement pas vu venir le vent de résistance à la vaccination et qui n'ont pas pu le contrer. Bien sûr, ce refus du vaccin est un puissant et complexe phénomène de société. Mais justement, dans cette pandémie, la communication - expliquer, éduquer, convaincre, faire comprendre, devait être une mission prioritaire de la santé publique.

Cet échec des communications, on le voit dans l'incohérence des messages. Au début de cette semaine, on annonçait en grande fanfare le début de la vaccination. On multipliait les messages pour convaincre les citoyens de se faire vacciner. Et du même souffle, on leur disait d'attendre six ou sept semaines...

Les problèmes de communications tiennent aussi à une approche qui incarne le triomphe de la pensée bureaucratique. Par exemple, au Québec, on a choisi la stratégie de la vaccination de masse dans des centres de vaccination. En principe, au nom de l'efficacité. Quelle erreur et quelle horreur.

D'abord parce que cette efficacité a un prix, le mépris des gens, que l'on force à attendre dans des conditions pénibles. Ensuite, parce qu'elle crée un climat de fin du monde, aux parfums soviétiques, qui ne peut que renforcer la méfiance manifeste des citoyens envers le système. Les canaux traditionnels, utilisés pour la grippe chaque hiver, auraient été plus conviviaux.

Et on le voit maintenant, plus efficaces. Il y a vraiment des ratés difficiles à comprendre. Les hôpitaux montréalais ont dû retarder la vaccination trois jours, même si les vaccins étaient disponibles. Le site internet du gouvernement sur la pandémie qui a dû s'excuser de ses lenteurs, à cause de la «forte consultation». Quelqu'un aurait pu y penser.

S'il y a un tel bordel sur le plancher des vaches, c'est qu'il y a aussi un fouillis tout en haut. Trop d'organismes, trop d'acteurs, et pas de leaders. Souvenons-nous du rôle du premier ministre Lucien Bouchard et du pdg d'Hydro-Québec, André Caillé, pendant la crise du verglas. Dans cette crise, il n'y a pas de pilote dans l'avion.