Il n'y a pas une journée sans révélations sur ce qu'on peut appeler le scandale de la construction et de la corruption municipale, sans nouvelles qui nous montrent que l'abcès est plus purulent que l'on croyait.

Les voix se multiplient pour réclamer une commission d'enquête, une idée à laquelle résiste toujours le premier ministre Jean Charest. Son gouvernement a choisi de resserrer les règles de financement des partis municipaux. Il vient en outre de lancer l'opération Marteau, une cellule policière qui se consacrera à l'industrie de la construction et ses liens avec le crime organisé.

Ces heureuses initiatives ne suffiront pas, ni pour explorer toutes les ramifications de ce scandale, ni pour restaurer la confiance dans nos institutions, ni pour venir à bout des abus. Oui, il faut une commission d'enquête. Mais laquelle? Sur quoi? Et surtout, pour quoi?

On peut comprendre les réticences du premier ministre à se lancer dans l'aventure. Quand les commissions d'enquête ne sont pas bien balisées, elles risquent de devenir de coûteuses panacées. C'est ce qui menace une éventuelle enquête sur la construction et le monde municipal. Le dossier est si vaste - présence du crime organisé, financement des partis, la proximité des entreprises de construction et des administrations municipales, la collusion et la fixation des prix - que le risque de dispersion est énorme. Qui trop embrasse mal étreint.

Il est clair qu'une commission, avec des pouvoirs d'enquête, constitue un outil très précieux pour faire la lumière, pour découvrir des faits qui autrement seraient restés cachés.

Mais pour être pertinente, une commission doit faire bien plus. Elle doit fournir des outils pour l'action. Pas seulement des révélations, mais aussi des solutions, des recommandations précises et concrètes qui permettront au Québec de faire le nettoyage, de mettre de l'ordre dans l'octroi des contrats, de restaurer la probité.

À cet égard, l'expérience récente est décevante. Les deux dernières grandes commissions d'enquête que nous avons connues n'ont pas donné les résultats escomptés.

C'est d'abord le cas de la commission Gomery sur le scandale des commandites. Ce fut un véritable succès comme show de télé. Un succès aussi pour faire un portrait du système de favoritisme instauré au nom de l'unité canadienne. Par contre, le deuxième tome du rapport Gomery, celui qui portait sur les recommandations, est largement resté lettre morte, parce que le juge, s'éloignant de son champ de compétence, y est allé de propositions naïves et coupées de la réalité politique.

L'autre échec, c'est celui de la commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables. Ses audiences ont permis un vaste exercice de défoulement collectif, qui était peut-être nécessaire. Mais le rapport, éclairant et éclairé, a été mal compris et mal reçu. Tant et si bien que la commission n'a pas joué son vrai rôle, celui de définir des balises qui serviraient de guide dans l'action. Récemment, dans le débat sur le problème, mineur, des examinateurs de la SAAQ, les travaux de cette commission n'ont même pas servi de référence.

Voilà le danger. Mais paradoxalement, les initiatives du gouvernement Charest, sans doute pour éviter la tenue d'une commission, la faciliteront, en permettant de resserrer son mandat. L'opération Marteau peut prendre en charge la place du crime organisé. La réflexion très complexe sur les changements à apporter à nos pratiques de financement politique, qui dépasse largement le cas de la construction, gagnerait à se faire dans un autre cadre.

Cela permettrait à la commission, sans faire abstraction de ces volets, de se concentrer sur l'essentiel, sur ce qui nous a coûté des milliards: les mécanismes d'appels d'offres, le copinage et la collusion. Et surtout, de proposer des solutions.