Ne raconte pas ça dans ta chronique, m'a averti ma fiancée; ils - c'est vous ça, ils - ils ne te croiront pas. Je vous raconte pareil. Vous savez ce qu'est une chatière? C'est une ouverture au bas d'une porte, mais pas nécessairement d'une porte; la nôtre a été pratiquée dans le mur du salon, à la hauteur de la plinthe, pour permettre aux chats d'entrer et sortir de la maison. La nôtre est pourvue d'une porte battante que nos chats poussent avec leur front pour sortir comme pour entrer.

La porte battante fait un premier clac quand le chat la pousse et un second clac en revenant à sa position quand le chat est passé. Un clac-clac rapproché et énergique? C'est Tonton. Un clac-clac plus espacé? La timide Sophie. Ma fiancée et moi pouvons dire, à l'oreille, lequel de nos sept chats entre ou sort.

C'était jeudi soir. Je regardais le hockey. Ma fiancée lisait son Country Living. Clac-clac. Monsieur de Tonton, ai-je annoncé sans même regarder la chatière. Je me trompais. Ce n'était pas Monsieur de Tonton. Pas Zézette. Pas Lola. Aucun de nos sept chats. Ce n'était pas un chat. C'était une mouffette.

Hon! Une mouffette, a dit ma fiancée, plutôt zen, tandis que je mettais déjà la main sur mon nez pour le boucher; elle va arroser, elle va arroser. Sophie grognait sur son coussin.

Le nez à terre, la mouffette est passée derrière la télé, s'est arrêtée au plat d'eau des minous, elle a bu un petit coup. Avant que je songe à le retenir, Bardo a sauté de mes genoux pour aller la sentir; j'ai dit ça y est, ça y est, elle arrose! Pas du tout. Elle ne l'a même pas regardé. Elle a hésité un instant quant à la direction à prendre. La cuisine? L'escalier qui mène aux chambres? Elle est plutôt repassée derrière la télé, a retrouvé son odeur qui l'a ramenée à la chatière. Clac-clac, elle est sortie.

Au revoir, madame, j'ai dit.

Vous reviendrez, a ajouté ma fiancée.

Y'a vraiment rien qui presse, j'ai ajouté.

La périphérie

J'ai une question un peu bizarre à vous poser. Voici. Les choses dont vous vous irritez dans la vie, sont-elles, comme le sont très souvent les miennes, «périphériques»?

Disons un sujet, un concept, un propos central avec lequel vous n'êtes pas d'accord. Disons la réforme scolaire. Disons le gouvernement qui acquiesce à la demande de certains juifs et musulmans de passer le permis de conduire avec une personne de leur sexe. Disons le voyage de Laliberté dans l'espace. Vous n'êtes pas d'accord mais cela ne vous fait pas grimper dans les rideaux. Ce qui vous fait vous gratter au sang, par contre, c'est une petite irritation plus loin, à la périphérie de la chose.

La réforme scolaire elle-même, bof. Ce qui vous fait vous étouffer, c'est la pontificale infaillibilité des hauts fonctionnaires du ministère de l'Éducation qui vous l'ont entrée dans la gorge et poussent dessus dès que vous faites mine de la recracher. Tu vas l'avaler, mon tabarnak.

Qu'un juif ultra orthodoxe refuse qu'une examinatrice lui fasse passer son permis de conduire, vous êtes d'accord avec moi, ce n'est pas un bien grand embarras pour la société. Ce qui vous pompe, par contre, c'est que le gouvernement ait l'outrecuidance de se réclamer de la laïcité pour faire un droit de ce qui aurait très bien pu rester un arrangement de bon aloi; patientez donc deux secondes, mon bon monsieur, on va vous trouver un examinateur.

Laliberté? Bonne idée d'actualiser le lien entre l'absence d'eau et la misère dans le monde. Ce qui me fait chier, c'est le show. Les bons sentiments qui ne règlent rien. Un milliard d'êtres humains ont faim dans le monde aujourd'hui; ce sont les chiffres de la FAO, c'était notre manchette jeudi. Merci à l'OMC, à la Banque mondiale, à Bono, à Guy Laliberté qui participent du même refus de s'attaquer à la véritable cause: l'ordre économique. Qui participent du même aveuglement quant à l'inefficacité absolue des mêmes bonnes intentions de toujours: aide alimentaire, cultures d'exportation (plutôt que vivrières), politiques d'industrialisation(1).

Mais je reviens à ma question du début: êtes-vous périphérique? Toujours dans le 450 des choses? Vous y sentez-vous, comme moi, excentré et saugrenu? Pensez-y, je vais aller me faire un café. Je vous laisse sur deux petites choses qui n'ont rien à voir.

AVIS DE CHANGEMENT D'IDÉE - J'ai dit l'autre jour, un peu légèrement, que je ne me ferai pas vacciner contre la grippe A (H1N1). Cela n'avait rien à voir avec les raisons que donnent les illuminés du soi-disant grand complot ourdi par les méchantes multinationales pharmaceutiques. Rien à voir non plus avec la granole rhétorique antivaccin. Cela relevait seulement de ma dissidence instinctive à tout ce qui peut ressembler à un mot d'ordre. Dissidence parfois bien bêtement adolescente, je le reconnais; je me ferai pas vacciner, parce que cela ne me tente pas, na!

J'ai changé d'idée. Je me ferai vacciner. Si cela peut m'éviter une grosse grippe d'homme, pourquoi pas? Si cela peut éviter aussi que je la donne à d'autres; on ne montre jamais trop de civisme. Mais aussi par snobisme. Je préférerais mourir d'un vaccin qui tournerait mal que de la honte d'être dans le même camp que les illuminés et les granoles.

FAUX-SEMBLANT - Il paraît qu'au zoo de Gaza, il y a un zèbre qui n'en est pas un; c'est un âne auquel on a peint des rayures pour amuser les enfants qui ne sont pas dupes. Bien sûr, ils savent bien que ce n'est pas un zèbre.

L'âne non plus n'est pas dupe. Mais il veut bien faire le zèbre. Ainsi, il évite de braire en présence des enfants et de manger les chardons de son enclos; c'est bien connu, les zèbres ne mangent pas de chardons. Ils raffolent de crème glacée, mais il n'y en a pas à Gaza.

L'histoire était racontée cette semaine dans L'Orient Le Jour, un journal de Beyrouth. L'auteur, Abou Dib, conclut joliment: cette histoire me bouleverse. Un animal, le plus humble de la création, dans le lieu le plus déshérité du monde, la bande de Gaza, réussit malgré tout à donner du bonheur à des enfants. Ainsi donc, lorsqu'on pense n'avoir plus rien à donner, on se trompe: on peut toujours, on peut encore donner le change.

(1) Indispensable sur ce sujet, La faim, pourquoi? François de Ravignan, La Découverte