Les candidats à la direction de l'ADQ et la ministre conservatrice Josée Verner ont joint leurs voix à celle de la chef du Parti québécois, Pauline Marois, pour réclamer que l'égalité des sexes ait préséance sur la liberté de religion dans les lois et pratiques québécoises. Dans l'esprit du plus grand nombre, apparemment, il va se soi que la liberté de religion est un droit moins fondamental que les autres. L'argument selon lequel on ne peut ni ne doit établir de hiérarchie des droits de la personne leur paraît abstrait et légaliste.

Les candidats à la direction de l'ADQ et la ministre conservatrice Josée Verner ont joint leurs voix à celle de la chef du Parti québécois, Pauline Marois, pour réclamer que l'égalité des sexes ait préséance sur la liberté de religion dans les lois et pratiques québécoises. Dans l'esprit du plus grand nombre, apparemment, il va se soi que la liberté de religion est un droit moins fondamental que les autres. L'argument selon lequel on ne peut ni ne doit établir de hiérarchie des droits de la personne leur paraît abstrait et légaliste.

Dans un éditorial récent, notre consoeur Josée Boileau, du Devoir, exprime ce point de vue avec brio:

«Quand, dans les institutions publiques, s'expriment des exigences au nom de la religion, il y a donc au départ maldonne. Il y a, du côté intégriste, non pas équivalence, mais refus de l'égalité entre les hommes et les femmes. La hiérarchie des droits qui, selon nos dirigeants, n'existe pas est au contraire totalement à l'oeuvre: c'est la religion qui prime au détriment des femmes, et c'est cela que l'on va 'accommoder'.»

Josée conclut: «Il y a nécessité d'affirmer la primauté de l'égalité homme-femme, même si cela implique une bataille juridique.»

La démonstration est impressionnante. Mais la solution proposée ne tient pas, à notre humble avis. Car la bataille juridique sera certainement perdue. Pas à cause d'une quelconque penchant pour la Cour suprême du Canada, mais parce que toute cour statuant sur les droits de la personne, ici comme ailleurs dans le monde, rejetterait une telle approche.

En 1993, à l'occasion d'une conférence mondiale sur les droits de l'homme, 171 États membres de l'ONU ont adopté une déclaration finale affirmant que «la communauté internationale doit traiter des droits de l'homme globalement, de manière équitable et équilibrée, sur un pied d'égalité et en leur accordant la même importance». La hiérarchisation des droits envisagée isolerait donc le Québec du reste de la planète en matière de droits fondamentaux.

Établir un classement des droits mènerait à l'arbitraire et aux abus. Si l'égalité des sexes est au-dessus de la liberté de religion, l'est-elle aussi de la liberté de conscience et de la liberté d'expression? La liberté de religion est-elle le seul droit qui soit ainsi vu comme secondaire? Décréter qu'il en est ainsi pourrait cautionner le comportement des États qui briment les droits de leurs minorités religieuses.

Le fait que les Québécois ne pratiquent plus ne devrait pas nous faire oublier que des centaines de millions d'êtres humains croient profondément, et qu'au cours de l'histoire, des millions ont été assassinés, torturés, écartés parce que leur foi n'était pas celle de la majorité. La liberté religieuse est, à n'en point douter, un droit aussi fondamental que les autres.

Dans son discours au Caire, l'été dernier, Barack Obama a déclaré: «La liberté de religion joue un rôle crucial pour permettre aux gens de vivre en harmonie. (...) Il importe que les pays occidentaux évitent d'empêcher les musulmans de pratiquer leur religion comme ils le souhaitent, par exemple, en dictant ce qu'une musulmane devrait porter. En un mot, nous ne pouvons pas déguiser l'hostilité envers la religion sous couvert de libéralisme.»

Qu'arrive-t-il si une femme, protégée par le droit à l'égalité, réclame des accommodements au nom de sa liberté religieuse? Dans beaucoup de sociétés occidentales, on a résolu ce dilemme en décrétant qu'une telle femme est victime de la domination masculine. C'est sans doute souvent le cas. Mais toujours? En ce qui a trait au monde musulman, la principale conseillère de M. Obama est Dalia Mogahed, une jeune femme au parcours professionnel impeccable. Mme Mogahed porte l'hijab...

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En cette époque de grandes migrations, les sociétés démocratiques font face à un défi extraordinairement exigeant: il leur faut défendre et promouvoir leurs valeurs tout en accueillant et en intégrant les personnes d'autres cultures. Dans un tel contexte, il est tentant de vouloir éliminer les chocs de valeurs par des mesures simples et radicales. Toutefois, de telles mesures pourraient provoquer plusieurs effets pervers, notamment l'enfermement des minorités religieuses dans des ghettos: leurs églises, leurs écoles, leurs entreprises. L'intégration serait alors tout aussi ratée que si la majorité plie bêtement à toutes les demandes d'accommodement. Une société libérale cherche une position d'équilibre entre les différents droits de la personne.

C'est pourquoi le moyen le plus sage – bien qu'aussi le plus difficile – de relever ce défi est d'y aller avec prudence. Il faut s'attaquer avec conviction et ouverture aux divers cas problématiques qui surviennent plutôt que de rechercher une quelconque solution magique qui les ferait (en apparence seulement) disparaître.