Si l'on en croit les plus récents sondages, des élections fédérales tenues cet automne reporteraient au pouvoir le Parti conservateur, apparemmement avec une majorité de sièges. Et cette majorité serait acquise sans gains substantiels au Québec. Ce serait la première fois depuis 1917 qu'un parti fédéral obtient la majorité des sièges à la Chambre des communes en ne comptant qu'une poignée de députés venant du Québec.

On pourrait refuser d'envisager un tel scénario sous prétexte qu'il ne s'agit pour l'instant que de politique-fiction. On ferait là une grande erreur. Car si les choses se passent ainsi, ce sera l'équivalent d'un tremblement de terre dans le monde politique canadien.

 

Depuis la fondation de la Fédération, le Québec a toujours joui d'une influence déterminante sur la politique fédérale. Les libéraux ont longtemps dominé grâce à leurs forts appuis au Québec. Lorsque les conservateurs ont pris le pouvoir, c'est parce qu'ils avaient réussi à séduire, temporairement, l'électorat québécois.

S'il s'avérait qu'un parti fédéral puisse l'emporter sans assises solides dans la province distincte, certains politiciens et stratèges canadiens-anglais concluront qu'un des principaux axiomes de la politique fédérale est bon pour la poubelle. Ce pourrait être le début d'une marginalisation nuisible au Québec et, quoi qu'en pensent ces personnes, néfaste pour le Canada tout entier.

Aux yeux des indépendantistes, il s'agirait d'un scénario de rêve. La diminution du poids politique du Québec, qu'ils annoncent comme inexorable, se verrait confirmée. Les souverainistes pourraient désormais affirmer, preuve à l'appui, que le gouvernement du Canada n'est pas celui des Québécois.

Il y aurait là une bonne dose de fumisterie. Le Bloc québécois n'a-t-il pas, depuis le début de son existence, soutenu que le «vrai pouvoir» se trouvait dans l'opposition? Pourquoi M. Duceppe déplorerait-il tout à coup la faiblesse de la représentation du Québec autour de la table du cabinet?

Quoi qu'il en soit, l'élection d'un gouvernement majoritaire sans appuis significatifs au Québec constituerait une étape de plus dans l'évolution de la relation Québec-Canada vers une sorte d'indifférence-association. La structure fédérale serait maintenue, mais elle serait vidée de son esprit, de son idéal. Elle s'en trouverait plus fragile que jamais.

Plus que tout autre courant, ce sont les fédéralistes québécois qui devraient se pencher sur les conséquences d'un tel scénario. Malgré les sondages qui lui sont pour l'instant favorables, c'est un courant politique moralement et intellectuellement affaibli; pensons seulement au nombre de fédéralistes qui n'osent plus s'affirmer comme tels...

C'est sur leurs épaules que reposerait la responsabilité de convaincre les partis fédéraux de ne pas ignorer le Québec. Et dès maintenant, il leur faut persuader les Québécois qu'il vaut mieux réinvestir le niveau fédéral plutôt que pousser à son paroxysme la politique de la chaise vide.

Et il y en a pour croire que le débat sur l'avenir politique du Québec est chose dépassée!