Dans le controversé dossier de l'exemption d'impôt réclamée par Bernie Ecclestone, une « question-mystère » demeure sans réponse.

L'alléchante subvention annuelle de 15 millions de dollars que Québec et Ottawa entendent lui verser durant les cinq prochaines années pour assurer la tenue du Grand Prix à Montréal va-t-elle aboutir dans une société localisée dans un paradis fiscal ou dans un pays avec lequel le Canada a signé une convention fiscale ?

La clé de l'énigme réside dans la réponse à cette question... Voici pourquoi. D'entrée de jeu, on prend pour acquis que la subvention annuelle de 15 millions sera versée à une entreprise étrangère de Bernie Ecclestone qui a le double statut de « société non résidente » et sans établissement stable au Canada (sans succursale ou bureau, etc.).

Si ladite société étrangère de Bernie Ecclestone a sa principale place d'affaires dans un pays lié par convention fiscale avec le Canada, le grand manitou de la Formule 1 pourra récupérer les retenues d'impôt de 24 % qui seront effectuées sur la subvention annuelle de 15 millions.

Mais si la société étrangère de M. Ecclestone a sa place d'affaires dans un pays non lié au Canada par convention fiscale, à ce moment-là il ne pourra pas récupérer les fameuses retenues d'impôt, soit 15 % par Revenu Canada et 9 % par Revenu Québec.

Comme on sait, Bernie Ecclestone menace actuellement les gouvernements Charest et Harper de ne pas nous redonner le Grand Prix s'il n'obtient pas de leur part l'assurance qu'il ne paiera pas un cent d'impôt au Canada, et ce pour chacune des cinq années du contrat.

Afin de s'assurer de ne pas payer un cent d'impôt au Canada, selon mon collègue Denis Lessard, M. Ecclestone a même poussé l'audace jusqu'à réclamer de Québec et d'Ottawa le versement d'un chèque visé de 2,25 millions de dollars pour chacune des cinq années du contrat visant le retour du Grand Prix F1 dans l'Île Notre-Dame.

Une parenthèse : ce chèque visé représente « seulement » la retenue de 15 % de Revenu Canada. M. Ecclestone a oublié (pour l'instant) de réclamer la retenue de 9 % de Revenu Québec. S.V.P. On tient ça mort !

Quoi qu'il en soit, les exigences fiscales du grand manitou de la F1 envers Québec et Ottawa laissent présager une méfiance maladive envers ses chances de remettre la main sur les retenues d'impôt que prélèveraient les deux gouvernements sur la subvention annuelle de 15 millions.

Son attitude laisse croire que la subvention annuelle de nos deux gouvernements aboutirait dans un paradis fiscal non lié par convention fiscale avec le Canada !

Opinion

d'un expert

La Presse Affaires a demandé au spécialiste en fiscalité internationale, Éric Labelle, de la firme Raymond Chabot Grant Thornton, de nous éclairer sur les règles fiscales canadiennes qui régissent les revenus des non résidents (individus, sociétés).

Dans la mesure où le non résident n'est pas résident d'un pays avec lequel le Canada a signé une convention fiscale, c'est, dit-il, le « critère domestique » qui prévaut.

« En effet, il existe une mesure dans la loi de l'Impôt sur le revenu du Canada qui stipule que quiconque sollicite des commandes ou offre en vente quoi que ce soit au Canada par l'entremise d'un mandataire, sera présumé exploiter une entreprise au Canada. Et donc imposable au Canada. »

S'il y a une convention fiscale avec le pays de résidence du non résident, alors là le critère d'assujettissement à l'impôt canadien sera celui de « l'établissement stable ».

Qu'est-ce que cela veut dire ? Réponse de M. Labelle : « Un établissement stable existe, entre autres, si le non résident a au Canada un siège de direction, une succursale, un bureau, une usine, ou encore si une personne à l'emploi du non résident signe des contrats au Canada qui engagent la responsabilité du non résident. »

Si le non résident dispose d'un établissement stable ici au pays, ajoute l'expert, il sera assujetti aux impôts canadiens et provinciaux. Point à la ligne.

Par contre, s'il n'a pas d'établissement stable, il en sera exempté, puisqu'on prend pour acquis qu'il paiera des impôts dans son pays de résidence sur l'ensemble de ses revenus mondiaux.

Fait à noter : dès qu'un payeur canadien (individu, société, etc.) verse un montant d'argent à un non résident à l'égard de services a être rendus au Canada, il doit effectuer une retenue d'impôt fédéral de 15 % du montant payé, plus une retenue d'impôt du Québec de 9 %.

« Il faut comprendre que cette retenue n'est pas un impôt final, précise M. Labelle. Dans la mesure où le non résident réside dans un pays avec lequel le Canada a conclu une convention fiscale, il pourra demander un remboursement complet des sommes retenues s'il démontre qu'il n'avait pas d'établissement stable au Canada. ». Pour ce faire, il lui suffit de produire ses déclarations au Québec et au Canada.

Selon le fiscaliste Labelle, le Canada est l'un des seuls pays à exiger des retenues d'impôts sur les sommes versées à des non résidents liés par convention fiscale !