Le fait que le Canada ait conservé le quatrième rang mondial de l'indice de développement humain de l'ONU n'a intéressé personne. À peine un entrefilet. Est-ce parce qu'on boude depuis que le Canada n'est plus numéro un? Ou plutôt parce que le fait que le Canada soit parmi les pays les plus avancés pour les progrès sociaux n'est plus une surprise?

Un autre classement, rendu public à peu près au même moment, devrait nous réveiller. C'est celui du Conference Board du Canada, qui classe plutôt le Canada en milieu de peloton pour son bilan social, au 9e rang de 17 pays industrialisés, derrière les pays nordiques, derrière aussi la Belgique, l'Autriche, la Suisse, les Pays-Bas. Si le Canada fait moins bonne figure, c'est parce que ce classement, contrairement à celui de l'ONU, tient compte des inégalités sociales.

 

Le Canada n'obtient que la note B pour ses indicateurs sociaux, parce que s'il fait bien pour la cohésion sociale, pour la qualité de vie, il obtient un D pour son taux de pauvreté, l'un des pires des pays riches, notamment pour la pauvreté des enfants, celle des travailleurs au bas de l'échelle, et l'inégalité des revenus.

Je sais que bien des gens se méfient des palmarès, parce que les choses importantes ne peuvent pas se traiter comme des concours de Miss Canada. Mais ces classements ont une grande utilité: ils permettent de nous comparer. Cela nous apprend que l'image que nous nous faisons de nous-mêmes est fausse. Et surtout, qu'on pourrait manifestement faire mieux puisque bien des pays réussissent là où nous échouons.

Certains pourraient s'étonner du fait que le Conference Board, qu'on aura tendance à identifier à la droite, se préoccupe de pauvreté. C'est un autre signe que les vieilles catégories ne fonctionnent plus, que l'opposition entre la logique économique et la logique sociale a tendance à s'estomper. Entre autres parce qu'on voit bien que le progrès social n'est pas un frein au succès économique, puisque les pays qui font le mieux sur le terrain de la justice sociale sont des pays prospères et performants.

On peut même aller plus loin. Le vrai progrès économique, durable dans tous les sens du terme, est difficile à atteindre sans progrès social. Parce que celui-ci permet la cohésion, réduit les tensions sociales, contribue à la qualité de vie, et surtout, réduit l'exclusion. Les économies avancées, qui reposent sur le savoir, ont besoin de main-d'oeuvre qualifiée et ne peuvent plus se payer le luxe de laisser de côté une partie de leur population. Bref, les grands principes et les froids calculs se rejoignent.

Cette convergence est également facilitée par une compréhension plus fine des déterminants de la pauvreté, ou plutôt des pauvretés. Parce que le succès dépend d'un ensemble d'interventions, cela nous sort du débat simpliste où la victoire contre la pauvreté reposait seulement sur le partage de la richesse: faire payer les riches et augmenter le BS. Avec les braquages de part et d'autre.

La guerre contre la pauvreté s'est déplacée: soutien des travailleurs à faibles revenus pour ne pas compromettre l'incitation au travail, aide aux mères monoparentales, notamment par des garderies, accompagnement des enfants à risques, avec des cantines, du soutien scolaire, et surtout, de grands efforts en éducation pour réduire les obstacles à la réussite scolaire. C'est en effet l'éducation qui permettra aux enfants de s'extraire de la pauvreté et de l'exclusion.

Ces efforts exigent d'importantes ressources. Mais ce sont des approches plus consensuelles et plus susceptibles de donner des résultats. À condition qu'on ne se berce pas d'illusions et qu'on se rende compte que le Canada, et c'est également vrai pour le Québec, n'est pas la société juste que l'on se plait à décrire.