Stephen Harper est à la tête d'un gouvernement minoritaire menacé de renversement. Il traverse la pire crise économique depuis la Grande Dépression, ce qui creusera le pire déficit de l'histoire du Canada.

M. Harper devrait avoir le moral dans les talons et son parti devrait sombrer dans les sondages.

Au contraire, le Parti conservateur ne s'est jamais si bien porté au Canada, et son chef s'est même permis un rare moment de détente en public en chantant une toune des Beatles avec Yo-Yo Ma, samedi soir, au Centre national des arts d'Ottawa.

Qu'est-ce qui fait donc chanter Stephen Harper (air connu)?

Les sondages, dont le dernier Strategic Counsel publié hier dans The Globe and Mail, qui donne 13 points d'avance aux conservateurs sur les libéraux ? Cela contribue certainement à la bonne humeur du premier ministre.

M. Harper n'a pas joué du piano ni chanté en public, hier, pour célébrer ce nouveau sondage dévastateur pour les libéraux, mais il a donné une entrevue à une radio de Toronto pour suggérer aux partis de l'opposition d'oublier leur projet de défaire son gouvernement.

Sont-ce les crises internes chez les libéraux qui rendent M. Harper si guilleret et exubérant? (Enfin, on se comprend : guilleret et exubérant pour le très lymphatique Stephen Harper.)

Ça ne peut pas nuire au bonheur du premier ministre que de voir son principal adversaire se couler lui-même en lavant son linge sale en public.

Est-ce l'appui inusité du NPD qui réjouit à ce point M. Harper ? Ironiquement, l'appui de Jack Layton rend peut-être les conservateurs plus acceptables aux yeux des électeurs qui les trouvent généralement beaucoup trop à droite.

Tout cela peut certainement inciter M. Harper à chantonner de plaisir. Mais il n'est pas soudainement devenu un boute-en-train. Il est d'abord un tacticien. Et pour un tacticien, il n'y a rien de plus satisfaisant que de voir ses morceaux se mettre en place pendant que ceux de l'adversaire explosent dans le plus grand désordre.

Stephen Harper a pris des risques, ces derniers mois, et ceux-ci s'avèrent aujourd'hui très payants.

Il a pris un risque, notamment, en parlant ouvertement d'un gouvernement conservateur majoritaire, une idée qui rebutait profondément l'électorat il y a quelques mois à peine. Résultat : l'idée a fait son chemin, devenant soudainement acceptable.

Fidèles à leur stratégie, les conservateurs ont aussi lancé des publicités négatives contre Michael Ignatieff, rappelant notamment que le chef libéral a vécu hors du pays très longtemps et l'accusant d'être hautain.

Visiblement, les pubs conservatrices ont fait mouche, mais, pis encore, celles qu'ont lancées les libéraux en réplique ont complètement manqué la cible, montrant un Michael Ignatieff figé et mal à l'aise. La meilleure défense, c'est bien connu, c'est l'attaque. Au lieu d'essayer de répliquer aux insinuations des conservateurs, les libéraux auraient mieux fait de s'en prendre au bilan du gouvernement.

Stephen Harper a aussi dû sortir des sentiers traditionnels des conservateurs en adoptant des mesures... libérales pour affronter la récession. Il risquait ainsi de déplaire à la base dure de son parti, les anciens réformistes, mais il se rapprochait aussi du centre, ce qui aura été finalement plus payant que dommageable.

La crise économique a forcé les conservateurs à migrer vers le centre, ce qui les sauvera peut-être dans l'électorat.

M. Harper se trouve maintenant à assouplir l'assurance emploi, notamment en ouvrant la porte aux travailleurs autonomes, tout en insistant lourdement sur des aspects «loi et ordre», comme la traite des enfants et les criminels à cravate, pour apaiser sa base électorale.

Pendant ce temps, la stratégie libérale s'effrite.

Encore le week-end dernier à Québec, Michael Ignatieff a mitraillé le gouvernement à cause du déficit historique qui s'annonce. Le hic, c'est que tout le monde sait que ce déficit a été provoqué par la crise économique, pas par la mauvaise gestion ou le gaspillage du gouvernement conservateur. Par ailleurs, les libéraux peuvent difficilement critiquer l'injection de milliards dans l'économie puisqu'ils auraient fait exactement la même chose.

Les libéraux essayent aussi de dépeindre Stephen Harper comme un horrible monstre que les Canadiens détestent et dont ils veulent se débarrasser au plus vite, au moment où ceux-ci découvrent un pianiste un peu crispé, mais pas bien méchant.

Cette mise en scène fait partie d'une opération charme utilisée jadis pour Mike Harris (le chef de cabinet de Stephen Harper, Guy Giorno, travaillait pour l'ex-premier ministre ontarien) et nommée HOAG, pour Hell of a Guy (un maudit bon gars!). Chose certaine, l'opération Beatles de samedi soir a très bien fonctionné.

Pendant que M. Harper projette l'image d'un leader relax et en plein contrôle, les électeurs voient les libéraux déchirés par les crises.

Les libéraux essayent très fort de faire passer Stephen Harper pour un control freak (ce qu'il est, en effet), mais Michael Ignatieff, lui, semble avoir perdu le contrôle de son parti dans l'affaire Coderre, notamment.

Le pire pour les libéraux, c'est que les choses s'amélioreront vraisemblablement pour les conservateurs au cours des prochains mois. L'économie montre ses premiers signaux positifs et, si le gouvernement survit à l'automne, il pourrait aussi bénéficier de l'effet olympique.

Même au Québec, où on note une légère remontée des conservateurs, M. Harper pourrait abattre quelques cartes payantes. Il pourrait annoncer, par exemple, une entente (et un chèque de plus de deux milliards de dollars) pour l'harmonisation des taxes de vente avec Québec.

On dit aussi que l'entente Canada-Québec sur la culture est bien avancée (pour le transfert de certains pouvoirs en culture à Québec) et pourrait être annoncée au moment jugée opportun.