L'arrivée à Montréal de la société Maples Finance, des îles Caïmans, en a scandalisé plus d'un lorsque la nouvelle a été éventée, au début de l'été. Comment se fait-il que le gouvernement du Québec subventionne une firme dont la société mère est considérée par le président américain Barack Obama comme une championne de l'évitement fiscal? Maples Finance va-t-elle aider des citoyens et des entreprises du Québec à cacher leur fortune dans un paradis fiscal à un moment où les finances publiques craquent de partout? Bref, a-t-on invité le loup dans la bergerie?

Voilà, en substance, les interrogations que soulevaient, non sans mordant, le professeur de comptabilité Léo-Paul Lauzon, ainsi que les députés Amir Khadir (Québec solidaire) et François Rebello (Parti québécois).

Mais dans cette histoire, les bons et les méchants ne sont pas toujours ceux que l'on croit.

Maples Finance est une filiale de Maples&Calder, un cabinet d'avocats qui compte près de 700 professionnels et employés dans le monde. Dans son éventail de services, cette firme enregistre nombre d'entreprises des États-Unis et d'ailleurs à l'adresse de son siège social, appelé Ugland House, aux îles Caïmans, un archipel où, selon l'agence Bloomberg, les profits des entreprises sont exemptés de l'impôt. En campagne électorale, Barack Obama a maintes fois dénoncé le fait que plus de 12 000 entreprises soient domiciliées à Ugland House.

«Ou bien c'est le plus grand édifice au monde ou bien c'est la plus grande arnaque fiscale qui soit», a-t-il dit.

Cette firme d'avocats vous dira - tout comme ses clients, d'ailleurs - qu'il y a des raisons d'affaires tout à fait légitimes pour établir une filiale dans un paradis fiscal. Une zone neutre d'impôt permet d'éviter la double imposition dans certaines transactions de financement ou d'achat d'entreprise, les impôts étant déjà acquittés ailleurs.

Quoi qu'il en soit, ce n'est pas le type de services que sa filiale Maples Finance compte offrir depuis ses bureaux de Montréal. Ce bureau servira de centre de soutien administratif à ses clients, des gestionnaires de fonds enregistrés de l'Amérique du Nord. Lorsqu'un investisseur vend des parts d'un fonds commun de placement, par exemple, Maples Finance se chargera de traiter la paperasse. À cette fin, le bureau montréalais embauchera une petite bande de comptables et d'informaticiens; ils passeront de 11 à 50, si les affaires marchent bien, a expliqué la chef de direction de Maples Finance, Maxine Rawlins, de passage à La Presse cette semaine.

Bref, si Maples Finance est le monstre du Centre financier international (CFI) de Montréal, le programme grâce auquel le gouvernement du Québec subventionne les activités financières dans la métropole, cette firme est en très bonne compagnie...

Les quelque 115 entreprises du CFI qui sont admissibles aux généreuses réductions ou exemptions d'impôt (qui s'appliquent autant aux établissements qu'aux employés qui effectuent des transactions internationales, soit dit en passant) se lisent comme un «who's who» de la finance. On y trouve par exemple UBS, cette banque helvète qui vient de conclure à un coûteux règlement avec le gouvernement des États-Unis, après avoir été accusée d'avoir aidé des milliers d'Américains à planquer leur fortune en Suisse.

Le mot international fait d'ailleurs un peu écran, puisque si les transactions sont internationales, les deux tiers des sociétés admises au CFI de Montréal viennent du Québec ou d'ailleurs au pays. On y trouve la Banque Nationale du Canada, la Banque Laurentienne, la Banque Royale, Jarislowsky Fraser, le Mouvement Desjardins, Van Berkom et Associés, entre autres. Bref, Québec subventionne dans une large mesure du simple déplacement d'emplois. Mais là, je m'égare dans le sujet d'une autre chronique.

Est-ce que nos financières sont plus vertueuses? Pas vraiment, s'il faut croire le Groupe investissement responsable, une firme qui conseille des investisseurs institutionnels. Ce groupe vient de répertorier il y a un mois les activités des institutions financières canadiennes dans des zones dites «à risque», l'expression politiquement correcte pour désigner les paradis fiscaux.

Il faut savoir que, selon l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), plus aucun pays ne figure actuellement sur sa (controversée) liste noire des paradis fiscaux! Les quatre derniers moutons noirs - Costa Rica, Malaisie, Philippines, Uruguay - se sont engagés à se conformer à une norme admise à l'international pour les échanges de renseignements fiscaux, ce qui a suffi à convaincre l'OCDE. Grâce à leurs représentations diplomatiques, même les îles Caïmans viennent de passer de la liste grise à la liste blanche aux côtés du Canada!

Si les échanges de renseignements font miroiter la possibilité de débusquer les fraudeurs, il n'en reste pas moins que certains pays affichent des taux d'imposition dérisoires, sinon nuls. Or, les institutions financières canadiennes les affectionnent.

La Banque de Nouvelle-Écosse est présente dans 26 zones à risque, la Banque Royale du Canada, dans 17 zones, selon le Groupe investissement responsable. Suivent, dans l'ordre, la CIBC (13), la Banque de Montréal (sept), la Banque Nationale (quatre), la Banque Toronto-Dominion (trois). La Nationale, par exemple, a des filiales ou des employés dans les centres financiers des Bahamas, de Hong-Kong, du Liban et de Singapour.

Toutes ces sociétés financières sont membres du CFI de Montréal. Dans un rapport préparé en vue d'une réunion ministérielle en 2000, l'OCDE avait d'ailleurs identifié les centres bancaires internationaux du Canada (il n'y en a que deux, l'un à Montréal, l'autre à Vancouver) comme étant des «régimes fiscaux préférentiels potentiellement dommageables», en raison notamment de leur faible imposition.

Bref, Maples Finance n'est donc pas si différente des institutions financières qui font la fierté de la communauté d'affaires de Montréal.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca