D'une façon ou d'une autre, les libéraux de Jean Charest sont certains de se faire des ennemis. Réunis en conseil général en fin de semaine, les militants ont avancé toute une série de propositions pour renflouer les coffres de l'État: rétablissement du péage sur les autoroutes, imposition de droits de scolarité au collégial, hausse des tarifs d'Hydro-Québec, nouvelle taxe sur l'alcool et l'eau embouteillée. En oublie-je?

Le budget déposé en mars par l'ex-ministre Monique Jérôme-Forget faisait état d'un déficit de 3,9 milliards. Les chiffres du premier trimestre, publiés la semaine dernière, font déjà ressortir un déficit de 3 milliards, uniquement pour ce trimestre. Il faut évidemment se garder de faire des projections téméraires à partir d'un seul trimestre. N'empêche: il saute aux yeux que l'objectif de 3,9 milliards ne sera pas atteint. Chez les spécialistes, on parle déjà de 5 à 6 milliards.

Ce trou dans les équilibres financiers du gouvernement aura des répercussions sur les exercices suivants. Déjà que Mme Jérôme-Forget prévoyait accumuler des déficits de 11,6 milliards jusqu'en 2013. Le nouveau ministre Raymond Bachand aura fort à faire pour éviter de défoncer ce chiffre.

Dans ces conditions, les 400 délégués au conseil général ont cherché à renflouer les coffres de l'État. Et voici qu'à la conclusion des travaux, dimanche, le premier ministre Jean Charest a mis un gros bémol sur tout cela. Avant de se lancer dans des hausses de taxes et de tarifs, a-t-il dit, le gouvernement devrait commencer par regarder comment il pourrait mieux contrôler les dépenses, se «serrer la ceinture» avant de vider les poches des citoyens.

Bien dit, mais cela cache un défi de taille. Si le gouvernement décide de hausser les tarifs et certaines taxes, il se met à dos les consommateurs et les contribuables. S'il veut réduire ses dépenses, il déclenche la colère des omnipuissants syndicats.

Pourtant, tôt ou tard, le gouvernement n'aura pas le choix: les finances publiques québécoises se détériorent gravement.

Le gros problème, c'est la dette.

Compte tenu de sa capacité de payer, le Québec est, de loin, la région la plus endettée au Canada.

La dette nette du gouvernement québécois représente 16 336$ pour chaque citoyen, y compris les bébés, contre 13 320$ en moyenne dans les Maritimes, 11 552$ en Ontario et 1667$ dans les provinces de l'Ouest. En outre, chaque citoyen québécois doit supporter sa part de la dette fédérale, soit 15 469$.

Ces chiffres fournissent une bonne indication du niveau d'endettement des administrations publiques, mais ne disent pas tout.

Ainsi, on vient de voir que la dette par habitant, au Québec, est beaucoup plus élevée qu'en Ontario. Or, les Ontariens, même en tenant compte des récents déboires de l'industrie automobile, sont plus riches que les Québécois. Donc, pour chaque Ontarien, le fardeau de la dette publique est beaucoup plus léger qu'il n'y paraît à première vue.

Pour mieux refléter cette réalité, on exprime la dette en pourcentage du produit intérieur brut (PIB), c'est-à-dire de la taille de l'économie. Au fédéral, la dette publique nette atteint 515 milliards, ou 32% du PIB. Pour les autres régions, voici ce que cela donne: provinces de l'Ouest, dette de 17 milliards, ou 3%; Ontario, 149 milliards ou 25%; provinces de l'Atlantique, 31 milliards ou 32%; Québec, 127 milliards ou 42%.

Voici un autre point de vue, qui donne froid dans le dos: les Québécois, qui forment 23% de la population canadienne, comptent pour 40% de l'ensemble des dettes des administrations provinciales. Ce déséquilibre est tellement important qu'il est grand temps de sonner l'alerte.

Certes, toutes proportions gardées, le déficit budgétaire du Québec sera moins élevé, cette année, que dans la plupart des autres provinces. Mince prix de consolation. Justement parce qu'il est déjà beaucoup plus lourdement endetté que les autres, le Québec doit tout faire pour éviter d'en rajouter.

Mais comment en est-on arrivé là? C'est une vieille histoire. Déjà au début des années 90, juste avant que n'éclate la crise des finances publiques, le Québec était lourdement endetté. En 1991, la dette nette du gouvernement québécois s'élevait à 37,6 milliards, contre 38,4 milliards pour l'Ontario, pourtant bien plus riche et bien plus peuplé.

Par la suite, on s'est attaqué avec un succès mitigé au cancer du déficit, bien que les ministres des Finances n'aient souvent réussi à atteindre le déficit zéro qu'au prix d'acrobaties comptables, d'ailleurs dénoncées par les vérificateurs généraux.

En revanche, à part un remboursement symbolique effectué dans le temps par la ministre Pauline Marois, et l'initiative du ministre Michel Audet de créer un Fonds des générations (lequel a été confié à la Caisse de dépôt, et donc frappé de plein fouet par la crise financière), on a toujours négligé de s'attaquer sérieusement à la dette.

En ce sens, le Parti québécois et le Parti libéral peuvent difficilement s'accuser mutuellement pour le désastre. Ils en sont tous deux responsables.