«Et comme devant ces morts qui nous tourmentent au-delà de leur décès, en raison même de leur disparition, des mots de circonstance s'imposent - faute de pouvoir observer une minute de silence par écrit.»

Voilà ce qu'écrivait Nelly Arcan en mai dernier lors de la disparition de l'hebdomadaire Ici. Ces mots trouvent tout leur sens aujourd'hui.

 

Qu'on ait été fan ou pas de ses livres, on ne pouvait rester indifférent au personnage. Une contradiction sur deux jambes, cette fille. À la fois dénonciatrice et victime de la dictature de la beauté et de la jeunesse qui tissait la trame de fond de tous ses livres.

Car Isabelle Fortier alias Nelly Arcan entretenait avec son corps et sa féminité, dans ses écrits et ses propos, une relation maladive. D'un côté dénonçant la tyrannie et de l'autre s'y soumettant d'une façon quasi masochiste.

Marchandisation du corps, culte de la perfection, obsession des hommes, on peut dire que l'arrivée de cette ancienne escorte dans le paysage littéraire québécois a eu l'effet d'un électrochoc. Cette fille trop blonde, ultra sexy, franche à en être parfois brutale, est venue troubler la face lisse et sage du paysage médiatique québécois. Ses apparitions à la télévision suscitaient à la fois curiosité et fascination.

Aucune superficialité chez cette auteure qui maniait pourtant avec brio tous les codes de la superficialité féminine. Dès Putain, son premier livre, on a compris qu'on avait à faire non pas à une auteure de «chicklit» (cette littérature-bonbon destinée aux filles), mais bien à une véritable écrivaine avec un souffle, une portée. Elle le disait elle-même: «Le premier livre peut rester le seul. Le deuxième livre, ça ne veut rien dire, mais à partir du troisième livre, ça veut dire: je suis là et je vais y rester.»

Elle disséquait son époque sans aucune complaisance. Dans son roman À ciel ouvert, elle avait eu cette formule tout à fait brillante pour décrire cette quête tordue de la jeunesse qui défigure les femmes aujourd'hui, parlant de «burqa de chair», affirmant que, «finalement, voilée ou non, la femme est réduite à un sexe.»

En ce sens, l'ex-rédacteur en chef de l'hebdomadaire Ici, Pierre Thibault, a tout à fait raison lorsqu'il décrit Arcan comme «l'écrivaine féministe la plus notable au Québec en ce moment». Un peu comme Virginie Despentes, écrivaine française qu'elle admirait d'ailleurs, elle provoquait, dérangeait.

Nelly Arcan s'apprêtait à publier un nouveau roman qui deviendra, malheureusement, son testament littéraire et qui contribuera sans doute à sa mythification puisqu'elle y aborde, nous dit-on, le suicide. Quelle tristesse que tout ça ait débordé du cadre de la fiction.