Qu'on l'aime ou qu'on l'exècre, Michael Moore ne laisse personne indifférent. Aussi, il ne faut pas s'étonner que la sortie de son dernier documentaire, Capitalism: A Love Story, soit précédée d'un battage médiatique. La visibilité du cinéaste américain n'a d'égal que la férocité de ses détracteurs.

Comment ce réalisateur et producteur dont les documentaires ont récolté des centaines de millions de dollars au box-office - Fahrenheitt 9/11 a rapporté 222 millions US à lui seul  - se permet-il de critiquer le capitalisme? Car, vous aurez compris que cette histoire d'amour n'en est pas une... Cette question, qui a été soulevée cette semaine par les animateurs Larry King et Wolf Blitzer, entre autres, fait toutefois distraction. Elle détourne l'attention des enjeux que soulève ce film. Ce débat arrive à point nommé, alors que les leaders des pays du G-20 se réunissaient à Pittsburgh cette semaine pour revoir les règles du système bancaire, l'encadrement des produits dérivés et la rémunération des banquiers, trois problèmes à la source de la crise financière.

Les conséquences de cette catastrophe, elles sont bien concrètes, alors que le film de Michael Moore s'ouvre sur une famille d'Américains qui filme nerveusement, depuis son salon, l'arrivée d'un bataillon de policiers. Ces agents viennent les chasser de leur résidence impayée en défonçant la porte arrière.

Ces histoires de familles évincées font pleurer. Remarquez, chaque famille est soigneusement choisie. Elles ne vivent pas dans d'immenses demeures avec trois voitures dans le garage, mais dans de modestes maisons. Bref, ce ne sont pas des Américains qui menaient grand train de vie, mais des gens qui ont connu des revers de fortune.

Dans le documentaire de Michael Moore, les Américains «ordinaires» n'ont jamais de responsabilité dans ce gâchis, eux qui auraient été encouragés à réhypothéquer leur maison par l'ex-président de la Réserve fédérale, Alan Greenspan.

De la même façon, les excès du capitalisme sont illustrés avec des exemples souvent grossiers. C'est le cas de cette petite ville qui a confié à une firme privée la gestion d'un nouveau centre de détention pour jeunes. Un juge corrompu y emprisonne des jeunes pendant six mois à un an pour des vétilles comme une dispute entre copines au centre commercial.

C'est le cas de cet agent immobilier de la Floride (son agence s'appelle Vautour!) qui se gausse à la caméra des malheurs de ses concitoyens, alors qu'il rachète pour une bouchée de pain des maisons reprises par les banques. 

Et je n'avais jamais entendu parler de cette pratique, apparemment répandue chez les entreprises du Fortune 500, d'assurer la vie d'employés au bas de l'échelle (comme une associée de Wal-Mart) dans le but de profiter de leur mort. Cela s'appellerait «l'assurance des paysans morts».

Michael Moore en vient à conclure que c'est un miracle qu'il n'y ait pas plus d'accidents d'avions causés par des pilotes d'avions régionaux dont les salaires de misère les forcent à avoir recours aux banques alimentaires. Tordu.

Moins sensationnaliste, mais plus troublante pour la suite des choses est la proximité entre Wall Street et Washington que Michael Moore documente. On connaissait déjà l'immense influence de la firme Goldman Sachs par l'entremise de l'ancien secrétaire au Trésor Henry Paulson et de ses sbires sous George W. Bush. 

Mais, c'est ahurissant de constater qu'un dirigeant de Countrywide, spécialiste des hypothèques à haut risque (rachetée par Bank of America), avait pour seule fonction de consentir des prêts à des taux ridiculement bas aux amis du président de la firme. Plusieurs politiciens étaient du lot, dont le démocrate Christopher Dodd, président du Comité sénatorial sur les banques!

Goldman & Sachs - qui a financé, soit dit en passant, le producteur indépendant de ce documentaire, Weinstein & Co.! - est aussi l'un des grands donateurs à la campagne électorale de Barack Obama. Sur ce sujet, on sent d'ailleurs un certain malaise, alors que Michael Moore préfère jeter son fiel sur le secrétaire au Trésor, Timothy Geithner.

Selon Michael Moore, cette proximité explique que Washington ait fermé les yeux sur les pratiques douteuses de Wall Street puis se soit portée à sa rescousse avec un plan de sauvetage de 700 milliards de dollars. Les partisans de ce plan auraient ainsi orchestré une campagne de peur sur l'imminence de la fin du monde. Et cela, alors que la survie du plus fort est l'un des postulats darwiniens du capitalisme.

On ne saura jamais ce qui serait arrivé si le Congrès avait rejeté ce plan. De plus, il n'est pas clair que Washington perdra une fortune avec ce sauvetage, puisque Wall Street est en voie de rembourser ses prêts avec intérêts. (Malgré tout, on rigole franchement en voyant Michael Moore conduire un camion de la Brinks jusqu'à l'entrée de ces firmes pour récupérer l'argent des contribuables avec un sac orné d'un signe de dollar qui semble droit tiré d'un jeu de Monopoly.)

Toutefois, avec les marchés financiers qui rebondissent et le sentiment de crise qui s'estompe, les banques ont retrouvé leurs mauvaises habitudes et leur outrecuidance. Ainsi, la volonté politique de changer les règles semble s'émousser. Une fois rentrés de Pittsburgh, les pays du G-20 disciplineront-ils vraiment leurs institutions financières?

Michael Moore avait commencé à tourner son film avant que la crise n'éclate. Malheureusement, il a éteint sa caméra avant qu'on ait le fin mot de l'histoire.