On le sait, Michael Moore n'a peur de rien. Dans son nouveau film, il assiège le Capitole, siège du Congrès à Washington. Il donne l'assaut à tous les temples de la finance de Wall Street, à New York. Il retourne tirer les oreilles de sa première victime, celle du documentaire qui l'a lancé, Roger and Me, la General Motors. Il pourchasse tout ce qui, aux États-Unis, possède du pouvoir, la Maison-Blanche, le Trésor fédéral, le Congrès, la haute finance, les multinationales, les grands médias.

Mais surtout, Moore n'a pas peur du paradoxe.

Sa rébellion extrême étant ainsi exposée, la question que chacun se pose au sujet de son nouveau film, en effet, est de savoir si Capitalism: A Love Story* fera une recette supérieure à celle de Fahrenheit 9/11. Son brûlot de 2004 avait engrangé 220 millions$US, un record absolu dans l'univers du documentaire.

 

Qui a dit que le capitalisme croulerait sous le poids de ses propres contradictions?

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Bien entendu, cet écroulement ne se produira pas.

Et, quant à Moore, il est douteux que, malgré tous les efforts qu'il déploie (ainsi que le coup de pouce des médias qui, comme le public, vivent avec lui une... histoire d'amour), il puisse briser son propre record au box-office.

Certes, son nouveau film n'est pas moins divertissant que les précédents: l'homme demeure un extraordinaire troubadour de la caméra. Mais, d'une part, Capitalism est plus prévisible puisqu'on connaît maintenant bien les tics et les procédés de son auteur. Et, d'autre part, le produit que Moore livre ne correspond pas exactement à la marchandise annoncée: ce n'est pas «le» capitalisme qu'il dénonce, mais bien une de ses variantes étroitement circonscrites dans l'espace et dans le temps.

Ce n'est d'ailleurs pas un écueil nouveau. Tous les critiques du capitalisme en tant que système appliqué (par opposition à son existence théorique) se sont butés sur le fait qu'il y autant de capitalismes que de nations qui l'appliquent et d'époques au cours desquelles il s'est exercé.

Cela dit, si on s'intéresse précisément à la finance spéculative déréglementée telle que les États-Unis l'ont vécue dans les années 2000, le film de Moore est l'article! Ce fut en effet un «système diabolique», comme le cinéaste le fait dire à maintes reprises à ses porte-voix. Ce fut un système qui produisit des injustices dépassant l'entendement. Ce fut un système qui, il faut le dire aussi (mais ça, Moore le dit moins), fonda sa réussite surtout sur l'échec de l'État.

Soyons clair: c'est l'«État-Bush» qui est visé ici, comme dans Fahrenheit 9/11. Cela pose d'ailleurs au documentariste un problème que l'on voit venir à la fin du film: que fera Michael Moore maintenant que W. n'est plus là et que s'est installé dans le bureau ovale un type du nom de Barack Obama?

Moore n'est visiblement pas à l'aise avec ce changement de garde qui pourrait signifier pour lui la disparition d'une cible irremplaçable. L'épuisement subit d'une inspiration qui devait (presque) tout à la conjoncture.

La fin des succès faciles, en somme.

* Le film prendra l'affiche au Québec le vendredi, 2 octobre.