«Bon, on va être O.K., il n'y aura pas d'élections tout de suite - pas cette semaine, en tout cas», m'a lancé un collègue mardi soir au téléphone.

«Pas cette semaine.» En entendant la précision, l'absurdité de notre paysage politique m'a fait rire (jaune, à vrai dire).

 

On en est réduit, en cette ère de gouvernement minoritaire, à évaluer, à la semaine, les risques d'élections. Pas étonnant que nous n'ayons pas eu dans ce pays de véritables débats sur de véritables enjeux depuis des années. Depuis 2004, en fait, année de l'élection du premier gouvernement minoritaire en un quart de siècle.

Pas le temps pour les vrais enjeux, il faut aller au plus pressant: des élections seront-elles déclenchées cette semaine, dans deux semaines ou le mois prochain?

Quand on pense que, dans certains pays plus stables politiquement, comme les États-Unis, par exemple, les présidents élus pour des mandats de quatre ans manquent parfois de temps pour accomplir les principaux engagements de leur programme politique! Ici, on ne se préoccupe plus des programmes, seul le calendrier compte.

Cela dit, puisque nous n'aurons pas de campagne pour le moment, Stephen Harper peut souffler un peu. D'autant plus que les planètes semblent s'aligner en sa faveur, ces temps-ci.

Son voyage éclair à Washington et à New York n'aurait d'ailleurs pas pu mieux tomber. Son absence pour cause de fonctions officielles lui donne d'abord l'excuse parfaite pour ne pas assister, ce soir à Montréal, à la fête organisée pour souligner l'élection, il y a 25 ans, de Brian Mulroney.

Cette visite chez Barack Obama lui aura surtout permis de se poser en champion du libre-échange, la plus grande réalisation des conservateurs dans l'histoire moderne du Canada. La rencontre constructive entre MM. Harper et Obama à propos des restrictions du fameux Buy American Act ne peut que servir l'image du premier ministre.

Pendant que Harper était à Washington, hier, le NPD lui a signé un chèque en blanc qui pourrait lui permettre de se maintenir au pouvoir pendant plusieurs mois encore. En s'engageant à ne pas défaire le gouvernement tant que le projet de loi sur l'assurance emploi n'aura pas été adopté, Jack Layton aurait tout aussi bien pu envoyer une carte de Noël à Stephen Harper. Un projet de loi, c'est parfois long à adopter.

En prime pour M. Harper, les partis de l'opposition, au lieu de s'attaquer au gouvernement conservateur, mettent depuis quelques jours le plus gros de leur énergie à s'accuser les uns les autres d'appuyer le gouvernement, de trahir leurs principes ou même les Canadiens, de se contredire ou de manquer de colonne vertébrale.

Hier, le NPD a pris la peine d'envoyer un long communiqué aux médias pour contredire les affirmations de ses adversaires qui affirment qu'il n'est pas prêt à se lancer en campagne. Un peu plus et le NPD ajoutait: «Mon père est plus fort que le tien!»

Les libéraux, quant à eux, ont poussé la puérilité de ce petit jeu jusqu'à utiliser les textes des chroniqueurs politiques du pays, dans les deux langues, pour en extraire des parties (seulement celles qui font leur affaire, évidemment) négatives à l'égard des conservateurs ou du NPD.

Ces querelles entre les partis de l'opposition font bien l'affaire de Stephen Harper. Elles renforcent son message selon lequel seul un gouvernement majoritaire conservateur peut assurer stabilité et sérieux à Ottawa.

La simple évocation d'une majorité conservatrice par Stephen Harper, il y a trois ans, en toute fin de campagne électorale, lui avait probablement fait perdre... la majorité. Les Canadiens avaient eu un mouvement de recul, perceptible dans l'écart entre les derniers sondages et le résultat final.

Les conservateurs ont toujours été extrêmement prudents lorsqu'ils abordaient la question de la majorité.

Cette fois, Stephen Harper ne se prive plus d'en parler ouvertement à chaque entrevue, signe indéniable, comme la fameuse vidéo, qu'il en a marre d'avoir les mains liées par l'opposition et qu'il entend maintenant jouer le tout pour le tout.

Après tout, la prochaine campagne, peu importe quand elle aura lieu, risque d'être la dernière de M. Harper. S'il gagne sa majorité, il reste pour un plein mandat de quatre ans et peut gouverner à sa guise. S'il ne l'obtient pas, il serait étonnant que son parti lui accorde une cinquième chance.

Il semble bien que son message dans cette fameuse vidéo, quoique cru, soit en train de faire son effet auprès de l'électorat. Les premiers sondages publiés depuis la diffusion de la vidéo de Sault-Sainte-Marie indiquent tous une remontée marquée des conservateurs et de son chef contre son adversaire libéral.

La firme Angus Reid, dans un sondage divulgué hier, accorde maintenant sept points d'avance aux conservateurs (36% PCC, 29% PLC, 17% NPD) et une avance écrasante de 41% à 29% en Ontario. C'est simple: les conservateurs sont en avance dans toutes les provinces, sauf au Québec (ils sont à égalité avec les libéraux dans les Maritimes).

Au-delà de la préférence des électeurs pour tel ou tel parti, le sondage Angus Reid démontre aussi qu'une majorité de Canadiens souhaitent maintenant un gouvernement majoritaire.

Stephen Harper n'a probablement jamais été si près d'une majorité et il en est privé par... l'appui du NPD. Il faudra voir, au cours des prochaines semaines, si les conservateurs ne forcent pas le jeu pour arriver à se faire renverser.