La ministre de l'Éducation, Michelle Courchesne, a déposé son très attendu plan de lutte au décrochage scolaire. Les critiques n'ont pas tardé. Trop peu, trop tard. Et surtout, un doute. Pourquoi la ministre réussirait là où tous ses prédécesseurs ont échoué ?

On ne le sait pas et on ne peut pas le savoir. La lutte contre le décrochage scolaire est un processus long et complexe. Les résultats, on les connaîtra en 2020, le temps que se donne la ministre pour atteindre son objectif de porter à 80 % le taux de succès des étudiants du secondaire. Cet horizon dépasse largement la durée de vie d'une ministre, le mandat d'un gouvernement ou la capacité de concentration des citoyens.

 

Cela explique sans doute pourquoi les commentaires sur ce plan d'action ont eu tendance à se rabattre sur ses éléments tangibles et mesurables - la quantité d'argent frais, le nombre d'élèves par classe. La réflexion collective se transforme alors en fastidieux débat comptable.

La vérité, c'est que ce ne sont ni le gouvernement, ni la ministre, ni le réseau d'éducation qui en viendront à bout. Le décrochage n'est pas un problème scolaire. C'est un problème de société. Et c'est dans la société, et par la société, qu'il pourra être résolu.

Le fait que le nombre de jeunes qui quittent l'école trop tôt soit particulièrement élevé au Québec, plus qu'ailleurs, est d'abord une conséquence de la pauvreté, et c'est aussi l'expression des valeurs d'une société qui attache trop peu d'importance à l'éducation.

Et si un certain espoir est permis, s'il est possible que Mme Courchesne - et ensuite ses successeurs - puisse réussir là où les autres ont échoué depuis 20 ans, c'est en bonne partie parce que le Québec s'est transformé, que la réflexion sur le décrochage a progressé, et que son plan d'action est le reflet de cette évolution. On comprend mieux les liens entre la pauvreté et l'insuccès scolaire, on est davantage conscients de l'importance d'intervenir dès la petite enfance, tandis que le déclin démographique ajoute un sentiment d'urgence. Tant et si bien que le décrochage est maintenant bien plus haut dans l'échelle des priorités de la classe politique, tant au gouvernement que dans l'opposition.

Mais surtout, la prise de conscience de la gravité du décrochage a commencé à dépasser le cercle des initiés. Le fait qu'un groupe de travail, présidé par un dirigeant d'entreprise, Jacques Ménard, ait décidé de se pencher sur la question, illustre ce changement. Certains ont bêtement reproché à M. Ménard d'agir en amateur et de jouer au gérant d'estrade. Mais justement, c'est quand la question sortira du cénacle des spécialistes, que les amateurs s'en mêleront, qu'on s'approchera de la solution.

Et donc, ce qui est important dans ce plan d'action, c'est moins les dollars, le nombre d'ortho-ceci ou d'ortho-cela, les calendriers de mise en oeuvre, le ratio maîtres-étudiants, qu'une façon d'aborder le problème. Le fait qu'on sorte du monde de l'éducation, et qu'on fasse appel aux autres, aux parents, aux communautés, au monde des affaires, aux régions. Le fait qu'on aille en amont, pour amorcer l'intervention au moment de la petite enfance. Le fait qu'on ne propose pas une solution, mais une palette d'interventions, à toutes les étapes du cheminement de l'enfant. Le fait qu'on quitte le mur-à-mur classique.

Mais l'essentiel, c'est qu'on reconnaisse la gravité du décrochage, suicidaire au plan économique pour une société en déclin démographique, inacceptable au plan moral parce qu'elle perpétue les inégalités sociales, aberrant au niveau des finances publiques, dramatique pour tous les jeunes décrocheurs qui seront mal préparés pour la vie. Quand ce message sera entendu, compris et partagé, une grande partie du travail aura été fait.