Il y avait un moment que Jean Charest n'avait pas exécuté un grand salto arrière, mais celui-ci est particulièrement spectaculaire.

Que le ministre du Travail, David Whissell, soit contraint de démissionner après des semaines de controverse entourant l'obtention de contrats gouvernementaux par une firme dont il est en partie propriétaire, n'est pas si surprenant. Avec la rentrée parlementaire toute proche, le gouvernement savait que cette histoire offrait une cible rêvée à l'opposition.

En plus, les centrales syndicales, qui entament des négociations avec le gouvernement, avaient elles aussi le ministre Whissell dans leur ligne de mire.

Ce qui est surprenant, par contre, c'est que le premier ministre ait laissé sciemment un de ses ministres s'embourber dans ce bitume en assouplissant, contre toute logique, les règles d'éthique imposées aux membres du cabinet. Rappelons que, au début de l'année, tout juste après sa réélection, Jean Charest a changé ces règles pour permettre aux ministres de demeurer propriétaires d'une entreprise privée qui fait affaire avec le gouvernement, à condition qu'ils placent leurs actifs en fiducie.

Cette directive, en plus d'aller à contre-courant de l'opinion publique, qui réclame davantage de balises éthiques, allait à l'encontre du bon sens élémentaire.

Pour le gouvernement et le premier ministre, c'était même parfaitement imprudent puisque cela, on le voit bien maintenant, ouvrait tout grand la porte aux soupçons et à l'apparence permanente de conflit d'intérêts. Donc, le gouvernement prêtait le flanc à la critique, aux enquêtes, aux doutes, même si toutes les règles d'attribution de contrat avaient été respectées.

Poussons encore un peu plus loin l'absurde : même si une entreprise privée appartenant en tout en partie à un ministre offrait le meilleur rapport qualité-prix au gouvernement, l'obtention de contrats soulèverait néanmoins des doutes sur l'intégrité de la transaction.

En matière d'éthique, en cette ère post-Gomery, les gouvernements doivent être plus catholiques que le pape. Surtout lorsqu'il s'agit de bons vieux contrats d'asphaltage dans la circonscription du ministre impliqué.

Jean Charest a esquivé en disant que cette regrettable situation ne se serait pas produite si nous avions au Québec un commissaire à l'éthique. Facile.

D'abord, un commissaire à l'éthique ne permettrait pas qu'un ministre se retrouve dans une telle situation. Et puis, si Jean Charest avait donné rapidement suite à sa promesse de 2003, nous aurions un code d'éthique en bonne et due forme à Québec depuis un bon moment.

Pour plusieurs, David Whissell était devenu le coupable parfait dans cette histoire, mais dans les faits, il est plutôt la victime. Victime de la nonchalance de son premier ministre en matière d'éthique. Pauline Marois avait raison, la semaine dernière : « Un élu doit choisir entre l'asphalte et un poste de ministre. » Surtout lorsque son gouvernement investit des milliards en fonds publics dans des projets d'infrastructures.

Jean Charest perd un jeune ministre (et la face, un peu) dans cette histoire. En tant que ministre responsable des Laurentides et dans Lanaudière, M. Whissell était aussi très actif dans Rousseau, où aura lieu une élection partielle dans moins de deux semaines.

Dans l'immédiat, David Whissell veut décanter en famille, mais l'aventure l'a passablement ébranlé.

Ministre apprécié de ses collègues, M. Whissell a pris goût au pouvoir depuis son arrivée au Conseil des ministres, il y a deux ans. Ses ambitions viennent toutefois de frapper un mur : s'il voulait revenir au Conseil des ministres un jour, il devrait encore se départir de l'entreprise familiale, un geste auquel il ne semble pas prêt à se résigner.