En analysant le résultat des sondages nationaux, ces derniers jours, les libéraux de Michael Ignatieff doivent se sentir comme un parachutiste novice regardant le vide.

Trop tard pour reculer («on y va, la machine est en marche», résume un stratège libéral), mais les libéraux peuvent néanmoins se demander si le parachute s'ouvrira après le grand saut.

 

Les nouvelles sont plutôt inquiétantes pour les libéraux. Depuis la déclaration de guerre de Michael Ignatieff, tous les sondages indiquent une remontée des conservateurs. Au Québec, on observe une consolidation du vote bloquiste et une légère remontée du Parti conservateur. Ce sont deux mauvaises nouvelles puisque le PC risque ainsi de gruger des votes aux libéraux dans les circonscriptions chaudes, ce qui permettrait au Bloc de se faufiler.

Le constat est désagréable pour les libéraux, qui ont tenté un grand coup en annonçant leur intention de défaire le gouvernement à la première occasion. Stephen Harper remonte au moment où les libéraux contre-attaquent et en dépit d'une vague de nominations partisanes au Sénat.

Il semble que les nouvelles économiques encourageantes et la probabilité d'une reprise jouent en faveur des conservateurs, même s'ils n'y sont pas pour grand-chose. Normal. Les gouvernements souffrent en période de crise économique, même s'ils n'y sont pas pour grand-chose.

Les libéraux craignaient d'ailleurs le phénomène le printemps dernier, sachant que l'économie canadienne reprendrait un peu de vitesse fin 2009, début 2010. La même logique rend le déclenchement des élections encore plus pressant pour les libéraux, malgré les sondages défavorables.

Politiquement, Michael Ignatieff n'avait pas le choix, mais le saut est périlleux. Non seulement les chiffres des sondages sont insuffisants pour penser au pouvoir, mais en plus, les sondages ne détectent pas de profonde envie de changement dans l'électorat.

Le chef libéral a peu de temps devant lui et il demeure largement méconnu. Le fait que les publicités préélectorales en anglais «présentent» le chef libéral en est un aveu criant.

Michael Ignatieff peut-il renverser la vapeur? Cela s'est déjà vu.

Il n'est pas rare que le chef de l'opposition parte en deuxième place le jour du déclenchement des élections. En 2005-2006, les rôles étaient inversés dans les sondages: les libéraux de Paul Martin récoltaient entre 35 et 40% des intentions de vote, et les conservateurs de l'inconnu Stephen Harper, moins de 30%. Pour les bleus, c'était encore pire au Québec, où ils croupissaient en troisième place.

On connaît la suite: une campagne efficace et disciplinée de Stephen Harper, les libéraux et leur chef qui s'effondrent et, au Québec, le Bloc qui panique...

Il faut toutefois préciser que les libéraux, usés par 13 ans au pouvoir et minés par le scandale des commandites, étaient alors au bout du rouleau.

Les libéraux disent toutefois avoir décelé, dans leurs sondages et groupes de discussion, un certain dédain des Canadiens pour la politique conservatrice en matière d'environnement, d'affaires étrangères, de culture, de recherche et de développement économique, notamment.

La campagne libérale repose sur un double pari: Michael Ignatieff, le novice, connaîtra une excellente campagne et il réussira à s'imposer comme la seule solution de rechange.

Pour les libéraux, c'est le retour aux «valeurs canadiennes», que l'on peut résumer par: compassion, ouverture, égalité des chances et primauté du droit.

Les libéraux font le pari que les Canadiens en ont marre des conservateurs et qu'ils verront dans Ignatieff le gardien de ces valeurs. Il y a deux problèmes avec cette approche: a) la répulsion des électeurs envers Harper ne semble pas aussi élevée dans la population que le souhaiteraient les libéraux; b) Ignatieff représente plus une énigme qu'une solution pour une majorité de Canadiens.

Les libéraux sont si convaincus de leur approche qu'ils ont décidé de s'en prendre uniquement à Stephen Harper dans leurs pubs au Québec, ignorant le Bloc québécois, pourtant premier dans les intentions de vote.

Autrement dit, les libéraux espèrent attirer des électeurs du Bloc en tapant sur... Stephen Harper.

Quant au Bloc, il reprend le thème des intérêts du Québec en associant son principal adversaire, Michael Ignatieff, au conservateur Stephen Harper. Aux dernières élections, le Bloc avait comparé Stephen Harper à George W. Bush avec un certain succès.

Cela dit, le ton des publicités du Bloc est plutôt bon enfant. On voit notamment les visages de MM. Harper et Ignatieff coiffés du slogan «Deux partis, un regard». Pas bien méchant.

En tout cas, on est loin des publicités bloquistes à l'époque du scandale des commandites, dans lesquelles on disait, notamment: Alfonso Gagliano a distribué des millions de l'argent des contribuables à ses amis libéraux; l'ex-premier ministre Jean Chrétien a dilapidé plus de 250 millions de commandites et Paul Martin n'aurait rien vu passer.