La nomination au Sénat de l'ancien entraîneur de hockey Jacques Demers a suscité de très nombreuses réactions. La plupart sont favorables à l'homme, dont tous apprécient le courage, la générosité et la bonne humeur. Par contre, plusieurs se sont demandé ce que fera M. Demers sur la colline parlementaire, lui qui ne s'est jamais intéressé à la politique. Enfin, on s'est une nouvelle fois interrogé sur l'utilité de cette institution formée par des non-élus dont le travail passe la plupart du temps inaperçu.

Pour ma part, je ne me suis jamais scandalisé du fait que les sénateurs ne sont pas élus. On ne cesse de reprocher aux députés d'être trop partisans, de ne penser qu'au court terme. L'existence d'une chambre composée de personnes capables de voir plus loin que la prochaine élection pourrait offrir un contrepoids sain. Une chambre non-élue permet aussi d'amener au coeur du processus législatif des gens de qualité qui ne sont pas faits pour la politique active. C'est le cas de M. Demers. C'est aussi celui du général Roméo Dallaire, de Jean Lapointe, du chercheur Kelvin Ogilvie (nommé jeudi).

Le problème du Sénat actuel vient moins du fait que ses membres ne sont pas élus que des personnes choisies par les gouvernements. Plusieurs d'entre elles ont été nommées pour services rendus (anciens députés et ministres). D'autres encore sont des organisateurs ou des collecteurs de fonds d'un des deux grands partis. Leur nomination au sénat vise surtout à fournir à ces personnes une base (un salaire, un bureau) d'où poursuivre leurs activités partisanes. Or, cela n'a rien à voir avec le rôle que devrait jouer une deuxième chambre.

Il faut déplorer aussi que les sénateurs restent en poste jusqu'à l'âge de 75 ans. Cela signifie que l'homme d'affaires et militant conservateur Léo Housakos, 41 ans, nommé par Stephen Harper l'an dernier, pourra siéger au Sénat jusqu'à l'an 2043.

M. Harper a vainement tenté d'apporter des changements au mode de sélection et à la durée du mandat des sénateurs. Malheureusement il a voulu le faire à la pièce pour éviter d'ouvrir la boîte de Pandore constitutionnelle. On comprend sa crainte d'emprunter ce chemin de croix; mais il n'aura pas le choix. Le Sénat est une institution centrale du Parlement et de la fédération. Toute réforme ayant des impacts sur l'équilibre législatif et fédératif, elle doit être négociée avec les gouvernements provinciaux.

Les changements suivants pourraient être apportés:

- les sénateurs devraient être élus directement par la population et non choisis par les provinces. Celles-ci sont déjà assez puissantes au sein de la fédération canadienne;

- pour être en mesure d'agir vraiment comme contrepoids aux députés, les sénateurs devraient être élus pour une période plus longue - disons 7 ans - lors de campagnes électorales tenues à une autre date que celle des élections des membres de la Chambre des communes;

- chaque province devrait être représentée par le même nombre de sénateurs, ce qui ferait équilibre à la représentation proportionnelle prévalant aux Communes;

- diverses règles devraient assurer que les sénateurs représentant le Québec soient en mesure de protéger la langue et la culture françaises et les caractéristiques nationales de la province. De telles règles étaient prévues dans l'Accord de Charlottetown.

On parle de réformer le Sénat canadien depuis plus de 40 ans. Les tentatives précédentes ont souvent échoué parce qu'elles s'inscrivaient dans un exercice de révision de fond en comble de la Constitution. Le premier ministre Harper a l'occasion de lancer un processus de modernisation ne portant que sur les changements à apporter au Sénat. Les chances de réussir sont certes minces. Mais elles sont nulles si le gouvernement conservateur persiste dans sa manière simpliste et unilatérale.