Soirée canadienne aigre-douce à l'Olympiastadion aux trois quarts vide, hier soir. Commençons par le doux: les deux qu'on attendait, Perdita Felicien et Priscilla Lopes-Schliep, ont passé sans problème le premier tour du 100 haies, se qualifiant pour les demi-finales et la finale, qui auront lieu ce soir.

Priscilla Lopes y a mis de la moutarde. Meilleur temps des cinq vagues (12,56 sec), elle rayonnait dans la zone mixte: à demain soir messieurs! Pas certain que c'est à nous qu'elle donnait rendez-vous. Et si c'était à Perdita Felicien? Ces deux-là, c'est manifeste, ne s'aiment pas d'amour tendre. Perdita s'est qualifiée aisément dans la dernières vague (12,77), puis elle est passée devant nous en nous lançant simplement: c'est demain que ça compte. Encore là pas sûr que le message s'adressait à nous.

Sauf accident, les deux seront de la finale. Sauf accident les deux pourraient être sur le podium. Sauf accident Priscilla Lopez-Schliep, sur la confiance qu'elle a montrée, pourrait bien être, ce soir, la nouvelle championne du monde du 100 haies. Sauf accident. Mais le 100 haies est toujours plein d'accidents. Parlez-en à Perdita Felicien, qui a mis cinq ans pour se remettre du sien à Athènes. Et n'en est peut-être pas complètement remise.

Parlez-en à la troisième Canadienne, Angela White, qui s'est fait sortir en accrochant la huitième haie, hier soir.

J'ai dit une soirée aigre-douce. On est dans l'aigre. Jared Connaughton s'était facilement qualifié pour les demi-finales du 200 mètres, un exploit en l'état actuel du sprint canadien. J'ai bien fait ça, nous disait-il dans la zone mixte, tout est allé à la perfection. Pas vraiment, Jared! Dix minutes après, on apprenait qu'il avait mordu sur la ligne du quatrième couloir - il était dans le cinq. Une faute bête en cela que mordre sur la ligne du couloir voisin n'apporte aucun avantage; deux centimètres à l'intérieur et Jared eût terminé au même rang dans le même temps - 20,60. Le voilà bêtement disqualifié, privé d'une demi-finale de championnat du monde, un truc qui n'arrive pas tous les jours, convenons-en, à un petit Canadien rocker. Blanc de surcroît.

Puisqu'on est dans le 200, restons-y. Trois Canadiens avaient survécu au premier tour en matinée, ce qui était déjà honorable. Outre Connaughton, Gavin Smellie et Sam Effah, qui ne sont pas allés plus loin.

J'ai commencé en disant une soirée aigre-douce dans un Olympiastadion aux trois quarts vide; ils étaient à peu près 24 Allemands dans ce stade de 80 000 places et encore, je ne suis pas sûr que c'était des Allemands. À pleurer.

LES MOTS QUI MANQUENT - Les grands journaux du monde que je viens de parcourir en diagonale, au centre de presse, ont manqué de mots pour Bolt. Précisons: ils avaient des mots pour Bolt, ils en ont manqué pour le 9,58.

En 40 ans, de Jim Hines en 68 à Mexico à Asafa Powell en mai l'an dernier, le record du 100 mètres est passé de 9,95 à 9,77. De mai 2008, à dimanche dernier, Bolt l'a descendu à 9,58. Plus de chemin en 15 mois qu'en 40 ans. On ne peut pourtant pas parler ici, comme pour la natation, d'avancées technologiques. Mêmes souliers, mêmes pistes, mêmes méthodes d'entraînement pour Bolt que pour les Greene et autres Bailey.

On peut bien manquer de mots. Il faudrait référer au fabuleux, sauf que ce n'était pas une fable. Je l'ai vu de mes yeux vu, mon vieux: 9,58.

DOPE - Les mots ont peut-être manqué aux reporters de Gazzetta dello sport, de L'Équipe, du Monde, du Sunday Times, du New York Times mais, Dieu merci, pas à mes lecteurs. «Ben voyons donc, monsieur le chroniqueur, savez bien qu'il est dopé!»

Une chance que vous êtes là, je n'y avais pas pensé.

Il y en a même un qui m'a écrit qu'Usain Bolt est tout déformé par la dope, ça se voit: «Sa peau a rétréci!»

Usain Bolt n'a justement pas le profil d'un dopé. Ce qui ne veut pas dire qu'il ne l'est pas. Les nouvelles dopes ne donnent pas le même profil que les stéroïdes de Ben Johnson. Usain Bolt est-il dopé? Je n'en sais rien. Je ne serais pas du tout surpris qu'il le soit, ni qu'il ne le soit pas.

Mais là où le mononcle et la matante me pompent l'air pour vrai, c'est quand ils se servent de la dope comme d'un marteau pour taper sur le sport de haute performance... «Je préfère aller prendre une marche dans la montagne que de m'intéresser à ces dopés.»

Arrêtez donc. Vous ne préférez rien du tout. Même s'ils n'étaient pas dopés, vous préféreriez aller faire une marche dans la montagne. Le sport en tant que performance et spectacle ne vous intéresse pas. C'est parfaitement correct. Mais lâchez-moi avec votre petite morale 450.

C'est comme si vous disiez: je ne vais jamais au concert, je joue un peu de piano moi-même et ça me suffit comme musique. C'est bien. Je vous félicite. Au fait, vous n'auriez pas une soeur qui joue de la flûte à bec, par hasard?

DOPE BIS - On se souvient que cinq athlètes jamaïcains soupçonnés de dopage juste avant ces mondiaux - aucun médaillé olympique - avaient été suspendus. Suspension annulée après l'analyse de l'échantillon B, le produit détecté (pas nommé) ne figurant pas sur la liste de produits interdits. Il s'en trouve pour conclure que les Jamaïcains ont découvert une potion magique qui expliquerait leur razzia de médailles à Pékin et celle qu'ils ont commencée à faire ici.

Ajoutez qu'une rumeur court actuellement au centre de presse des Mondiaux: il y aurait un dopé parmi les finalistes du 100...

Je rêve parfois de labos antidopage si pointus qu'ils montreraient que les huit finalistes de Pékin comme ceux de Berlin dimanche soir étaient dopés tous les huit. Ma tante irait prendre sa marche tout contente. Pour nous (nous les débiles qui ne savons rien du plaisir d'aller prendre une marche) cela ne changerait rien: c'est bien le meilleur qui aurait gagné.

LE MOT DU COMMANDITAIRE - Toyota est un des grands commanditaires de ces mondiaux d'athlétisme. Toyota en gros sur le dossard des athlètes féminines. (TDK sur celui des hommes). Toyota, ça fait quand même bizarre au pays de Mercedes, BMW, Volkswagen. Hier midi, il y avait cette jeune sauteuse en hauteur berlinoise (Meike Kröger) qui venait de se qualifier pour la finale de demain soir. Elle se faisait prendre en photo avec sa maman; après la photo, mine de rien, je me suis approché de la maman: Moi aussi j'ai une Toyota, j'ai dit mine de rien. Vous me connaissez, je ne suis pas le genre à me vanter.

Une Yaris, j'ai précisé.

Gut - good - a dit la maman, en s'écartant d'un pas. Gut.

Photo: Reuters

La Canadienne Perdita Felicien (à droite), tout comme sa compatriote Priscilla Lopes-Schliep, a passé aisément le premier tour du 100 m haies, mardi, aux Championnats du monde d'athlétisme, à Berlin.