Barack Obama est-il un nouveau Adolf Hitler? A-t-il l'intention d'instituer des «tribunaux de la mort» pour départager ceux qui seront soignés de ceux qui ne le seront pas? Les États-Unis deviennent-ils «un pays socialiste comme la Russie» ? Et ces trois questions comptent-elles parmi les plus stupides jamais posées?...

De fait, tout cela nourrit quotidiennement le débat sur la réforme du système de santé, aux États-Unis. L'animateur Rush Limbaugh a conscrit Hitler. Les tribunaux de la mort sont une gracieuseté de la républicaine Sarah Palin. Et c'est une citoyenne ordinaire de la Pennsylvanie qui a invité les socialistes russes au town hall meeting (une grosse assemblée de cuisine!) tenu dans son patelin.

Comme on le voit, les arguments et surtout le ton sur lequel ils sont assenés ont depuis longtemps dépassé les limites du raisonnable, atteignant parfois le niveau de la violence physique. Ça n'a rien de neuf. En 1994, alors qu'elle plaidait en public pour une réforme semblable, il était arrivé à Hillary Clinton de devoir porter une veste pare-balles!

Probablement nulle part au monde il n'est possible de discuter santé sans quelques dérapages - nous-mêmes en faisons régulièrement l'expérience ici.

Pourquoi?

D'abord parce que les soins posent une question de vie ou de mort, de sorte que chacun cède facilement à l'émotion. Ensuite, la résistance au changement est en ce domaine d'un poids pachydermique. Encore, les groupes de pression qui s'agitent dans le champ de la santé sont très puissants. Enfin sévit l'idéologie, d'où cette peur comique du «socialisme à la russe»...

Mais on aurait tort de se moquer.

Le «capitalisme à l'américaine», dont les Canadiens sont menacés chaque fois qu'on évoque ici le rôle du privé, est l'image-miroir du croque-mitaine slave! Pas plus tard qu'hier, ce spectre a été à nouveau brandi par la Coalition canadienne de la santé (puissant groupe de pression luttant contre tout changement), qui amorce une campagne auprès des médecins.

En ce sens, qu'elle réussisse ou qu'elle échoue, l'expérience américaine sera instructive pour nous. Elle donnera en effet un embryon de réponse à la question : une société vieillissante, devenue frileuse, portée sur le dogmatisme, «travaillée» par des lobbies bien organisés, peut-elle encore bouger, dans un sens ou dans l'autre?

On le verra bientôt aux États-Unis. Et on le verra un jour chez nous : notre système de santé, à bien des points de vue supérieur à celui des États-Unis, n'en a pas moins besoin, lui aussi, d'être soigné.