Les entreprises ressemblent à de grandes familles. C'est lorsque les finances s'étiolent que les fissures éclatent le plus souvent.

Or, tout ne tourne pas rond chez Cossette, la plus grande agence de pub au pays, dont le génie créatif, qui a fait la fortune de Bell Canada et des Restaurants McDonald's, s'est émoussé ces dernières années.

Depuis qu'il a touché un sommet de 13,39$ en juin 2007, le titre de Cossette dégringole à la Bourse de Toronto. Il ne valait plus que 2,78$ le 20 mai dernier. Or, la récession, qui est sans pitié pour les contrats de publicité (pensez à General Motors), n'explique pas tout. Cossette a perdu d'importants mandats, notamment son contrat exclusif avec Bell Canada, qu'elle partage avec trois autres agences.

C'est ce qui a incité François Duffar, ancien vice-président du conseil de Cossette, à sortir de sa toute jeune retraite, lui qui avait officiellement quitté l'entreprise de Québec au début de juin, sans autre explication. Afin de saisir le contrôle de l'agence à laquelle il est associé depuis 35 ans, François Duffar a soumis au conseil d'administration de Cossette une offre d'achat non sollicitée.

Cette offre de 4,95$ au comptant attribue une valeur de 83 millions de dollars à l'entreprise, dettes mises à part. Le titre de Cossette d'ailleurs a bondi hier de 1,90$, ou 58%, pour terminer la journée à 5,15$. François Duffar s'est associé à Georges Morin, ancien premier vice-président de Cossette et autre dirigeant de la première heure, qui a démissionné samedi.

Il s'est aussi allié à Jean Monty, ex-président de BCE, et à Daniel Bernard, ancien grand patron du géant français du supermarché Carrefour, aujourd'hui président du conseil du détaillant anglais Kingfisher. Un fonds international non identifié complète ce groupe.

Réunis, les actionnaires du Groupe Cosmos, créé pour l'occasion, contrôlent 18,7% des actions en circulation de Cossette. Mais ils disposent d'un allié de taille en Burgundy Asset Management. Le premier investisseur institutionnel de l'agence s'est engagé à vendre à Cosmos toutes ses actions, qui représentent 11,1% des titres en circulation.

Ce désaveu du management actuel et de sa stratégie d'affaires donnera à réfléchir au conseil de Cossette, qui s'est réuni hier pour débattre de cette offre d'achat surprise. Au moment d'écrire ces lignes, le conseil de Cossette n'avait pas fini de délibérer.

En principe, Claude Lessard, grand patron et fondateur de Cossette, et Pierre Delagrave, numéro 2 de l'agence depuis le départ de François Duffar, pourraient bloquer cette offre d'achat. Les deux hommes détenaient 46% des droits de vote en date du 2 décembre dernier, grâce à leurs actions avec droit de vote multiple (10 votes chacune).

Toutefois, Cosmos a usé d'un stratagème habile. Tout dirigeant de Cossette qui quitte l'entreprise voit ses actions avec droits de vote multiple converties en actions ordinaires, comportant un seul vote, au bout de trois mois. Or, avec le départ de Georges Morin, qui fait suite au départ de François Duffar, le nombre d'actions avec droit de vote multiple tombera sous le seuil minimum de la convention de fiducie établie en 1999, lors de l'entrée en Bourse de Cossette. Sous ce seuil, les actions avec droit de vote multiple sont automatiquement converties en actions ordinaires.

À la base de ce divorce qui se joue sur la place publique se trouvent deux visions divergentes d'une entreprise à la croisée des chemins.

Selon nos informations, François Duffar et Claude Lessard avaient convenu de se retirer de la gestion quotidienne et de passer le relais aux dirigeants les plus jeunes de la boîte.

François Duffar a pris ses distances de Cossette dès janvier 2007. Il a fondé sa firme de consultation et d'investissement, Navilon. C'est ainsi qu'il a investi dans Cavalia, même si, aujourd'hui, il n'est plus qu'un administrateur de ce cirque.

En contraste, Claude Lessard, toujours président du conseil, président et chef de la direction, est resté fermement en selle. Il a été impossible de parler à François Duffar ou à Claude Lessard, hier.

François Duffar se montrerait aussi très critique de l'expérience de Cossette en Bourse. Ainsi, les dirigeants de l'agence ont dû consacrer beaucoup de temps aux communications avec les investisseurs, qui ont des préoccupations financières à court terme. Ainsi, ils auraient perdu de vue leur mission première, qui est d'épater les clients avec des campagnes de communication brillantes et de grandir avec eux.

"La réorganisation des ressources et du capital de la compagnie fera de Cossette une entreprise plus efficiente et plus dynamique", a affirmé François Duffar dans le communiqué publié hier matin. Selon nos informations, l'ancien numéro 2 de Cossette espère privatiser la plus grande agence au pays, après près de 1500 salariés au Canada, aux États-Unis, en Angleterre et en Chine.

François Duffar mise aussi sur ses alliés internationaux pour appuyer le développement de Cossette à l'étranger. Si Cossette a connu certains succès en Europe, ses progrès aux États-Unis sont plus mitigés.

Mais pour l'instant, c'est une bataille d'avocats qui s'engage entre les anciens associés d'hier.

Pour joindre notre chroniqueuse: sophie.cousineau@lapresse.ca

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